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vendredi 13 novembre 2009

Saveurs de l'eau

Saveurs de l’eau




L’eau n’a ni odeur, ni saveur. Elle est liquide et transparente. Celui qui dit cela n’a jamais goûté le pur plaisir d’un grand verre d’eau fraîche pendant une courte pause au creux du labeur.

Voyez vous-même. Lâchez votre outil, passez les mains sous le robinet pour les dépoussiérer : préambule.

Prenez un grand verre, emplissez-le de ce breuvage. Ecoutez son léger chuintement accompagnant son mouvement de spirale ascendante. Il semble s’offrir, impatient, à votre soif.

Approchez le verre de vos lèvres, et doucement, inclinez-le, lui permettant de pénétrer dans votre bouche. Là, fermez les yeux. Recevez l’élixir de vie et de repos.

En s’étalant sur la langue, il en dénoue immédiatement les tensions, efface votre nervosité, supprime votre hâte.

La première gorgée poursuit son chemin tandis que vous aspirez un nouveau trait. Celui-ci apporte à son tour son cadeau liquide. Vous percevez alors plus nettement sa fraîche fluidité, son léger goût minéral.

La troisième gorgée vous désaltère tout-à-fait, vous allège et vous fait oublier votre fatigue.

Vous avalez le reste en longs mouvements de la bouche et de la langue. Vous faites tourner l’eau contre vos dents et votre palais. Elle emplit tout l’espace. Vos joues, votre gosier s’en abreuvent avidement.

Quand le verre est vide, vous êtes rassasié, désaltéré. Vous êtes reposé.

Vous reprenez votre tâche avec entrain.



Et que dire de sa vertu d’exhausteur de saveur ! Qui n’a pas bu un grand verre d’eau après la dernière bouchée d’une banane ne connaît pas toute la richesse de ce fruit.

Mûre à point, vous en captez un morceau entre vos lèvres. Vous la pressez doucement contre votre palais pour en sentir l’onctuosité soyeuse. Elle vous offre alors sa douceur ensoleillée de fruit né sous des cieux d’été permanent. Elle se laisse mâcher sans résistance, devenant crémeuse, enrobée de ses arômes très personnels. On ne dit pas : « La banane sent ceci ou cela. » On dit : « Cela a goût de banane.» Elle s’étale et s’installe. Elle semble discrète, et pourtant elle vous révèlera tout à l’heure, sa malicieuse générosité.

Après l’avoir dégustée, buvez un verre d’eau ; elle resurgit. Son alliée liquide l’a réincarnée en effluve suave. Elle se redéploie au cœur du palais. Elle n’est plus le fruit à la chair compacte et malléable. Elle en est le souvenir, comme une bulle éclatante et vaporeuse, qui vous laisse une empreinte douce aux couleurs d’ambre chaude, de source claire et de soleil des Tropiques.


Parfums d'orage

Parfums d’orage


Depuis ce matin, le ciel s’assombrissait, s’épaississait. Il étendait sur le village et sa campagne sa chape de plomb. Les oiseaux s’étaient tus. Les feuillages s’étaient immobilisés. Assise dans la cuisine, Pauline écossait les petits pois, écrasée de chaleur, emprisonnée, malgré les persiennes ouvertes, par l’atmosphère irrespirable. Les odeurs de terre assoiffée, d’asphalte liquéfié s’étalaient au-dehors. Elles entraient dans la maison par bouffées chaudes chaque fois qu’une auto passait en remuant l’air alourdi. Et le gaz d’échappement stagnait là, empoisonnant un peu plus l’espace rétréci par l’orage en suspens.

Pauline saisit un mouchoir en papier pour s’éponger le front. L’odeur sucrée des petits pois, accrochée à sa main, l’écœura. Vraiment, ce temps électrique déformait tout.

Soudain, un déchirement zébra le ciel, siffla en ultrason et éclata en un fracas de fin du Monde. Elle se précipita pour fermer les fenêtres.

Alors, la violence comprimée jusque-là trouva sa voie et se répandit, ample écoulement salvateur. Pauline continua son travail. Elle se sentait protégée, à l’intérieur du crépitement des gouttes contre les vitres, dans la demi-obscurité qui l’entourait. La cuisine, immédiatement soulagée de la pesanteur orageuse, délivrait à nouveau ses odeurs rassurantes de vie quotidienne. Les petits pois redevenaient de jolies billes parfumées, fin mélange de farine sucrée et d’herbe fraîchement coupée.

La pluie, apaisante, caressait le toit d’un frottement continu, ruisselait le long de la rue, abondante, pénétrait la terre avide, lavait les plantes, les murs, les voitures, de la poussière de canicule.

Pauline s’arrêta d’écosser les petits pois. Détendue, délivrée de cette pression étouffante, elle écoutait l’averse. Toute cette eau libérée semblait devoir s’écouler sans fin. Mais, aussi brusquement qu’il avait éclaté, l’orage cessa, s’éteignit, referma ses vannes.

Pauline regarda dehors. Les dernières gouttes brillaient déjà dans la clarté retrouvée. Elle ouvrit la fenêtre et respira la nature.

Le ciel, à nouveau sans nuage, suspendu très haut, très bleu, rejoignait au loin l’horizon et s’y confondait. Doucement, chacun reprenait le cours de sa vie. Les oiseaux se désaltéraient calmement dans les flaques brillantes, telles des éclats de miroir déposés ça et là pour retenir la lumière. Les arbres semblaient déployer leur ramure dans une respiration profonde. La moindre fleur se redressait, désaltérée par l’ondée bienfaitrice, vivifiée par l’haleine d’humus de la terre repue.

La campagne offrait à Pauline toutes les fragrances de la légèreté renouvelée. Vers elle montaient les senteurs florales assemblées en harmonie, dans un bouquet aux effluves de lys et de roses subtilement enlacés par la fraîcheur tonique de l’herbe humide. Du pavé luisant du seuil, s’élevaient des senteurs de pierre mouillée et la secrète odeur minérale et moussue des instants fugaces que seul l’orage imagine et nous lègue.

Pauline gonfla sa poitrine et respira à pleins poumons. L’été redevenait lumineusement odorant.