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vendredi 7 octobre 2011

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Les trottoirs étaient vides, mais ils n’étaient pas tristes. Les quartiers besogneux, dépeuplés les dimanches, respirent habituellement l'immobilisme, la solitude, une espèce de sentiment de fin, de néant. Mais, ici, la vie avait laissé son empreinte sur les murs de ces deux ateliers fermés. C’était comme si elle disait : « Je vous laisse un gardien des lieux, un ami qui vous tient compagnie les jours de solitude, une promesse de retour. »

Contraste. Lumières de soir et gris de pluie. Chaleur vibrante et vibration du graphe. Silhouettes animées et trompe l’œil Pop’art. Les rideaux métalliques baissés et les portes fermées restituaient la totalité des œuvres décoratives dans le calme de la rue déserte.

Mon regard hésitait à s’arrêter sur l’une plutôt que sur l’autre.

A ma gauche, l’incandescence d’un soleil couchant embrasait des immeubles dont les fenêtres éclairées répondaient au ciel par le même jaune d’or. De petits personnages, se détachant sur les carrés lumineux s’agitaient dans une conversation animée. On devinait dans cette fresque que la vie se poursuivait dans les appartements, au creux des foyers, que le bruit des conversations, des discussions plus ou moins futiles, plus ou moins violentes, avait reflué là quand il avait quitté la rue.
Je restais plantée au milieu de la chaussée, sans crainte d’être renversée par une voiture de livraison qui ne passerait pas avant le lendemain matin. J’imaginais les histoires de ces gens, leur trajet chaque jour pour se rendre au travail, et celui du retour jusqu’au seuil de la nuit. Vies laborieuses et pourtant nourries d’espoir, espoir d’une prochaine naissance ou d’une guérison, espoir d’une promotion ou d’un travail. Tout simplement espoir que la vie continue, un peu meilleure, un peu moins dure. Que demain sera peut-être un bon jour.

Le tagueur était-il l'un d'eux ?


J’ai fini par me détacher du crépuscule de la ville. Tournant le regard vers la droite, je me suis perdue alors dans les volutes grises, hyperboles gracieuses, mouvement vibratoire du camaïeu de gris. L’ondulation douce des lignes traversait le bâtiment, ou plutôt son rez-de-chaussée, comme les ondes légères provoquées à la surface d’une eau calme, par le choc délicat d’une feuille morte. Elle lui imprimait une nostalgie, comme une berceuse ancienne, une invitation au repos, à la sérénité, au départ dans le monde des nuits sereines rythmée par la douce ballade d'une pluie printanière, gage de récoltes abondantes.

Elle invitait à quitter le tumulte pour se laisser endormir au creux d'un rêve primitif. Je m'imaginais alors le petit, pas encore tout à fait enfant, percevant les remous de la vie, bien protégé au creux du ventre de sa mère. Là, tous ses sens déjà en éveil pouvaient recevoir en douceur les manifestations de l'agitation humaine, sans en ressentir pourtant la violence. Le filtre maternel transformait le vrombissement des moteurs en ronronnement, la cacophonie des altercations en mélodie, le tumulte de la foule en murmure.

Le tagueur était-il encore cet enfant ?

Danièle Chauvin, septembre 2011. Photo de Carole Menahem-Lilin. Autres photos de la série sur "Les rues de Carole" (Tribu des artistes)