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vendredi 28 août 2009

LA PLANETE BLEUE « Comment tu fais ça ? - Je n’en sais rien, cela vient tout seul. Je n’y réfléchis que très peu. - Ça alors ! j’aurais jamais pensé. » Théodore restait planté là, admiratif. Il regardait les volumes et les couleurs se mettre en place, apparemment sans effort. Comme une évidence. Dans sa tête aussi, il y avait des images, et même de la musique, mais il était le seul à le savoir. Il ne pouvait pas partager ses émotions. Alors, il les gardait pour lui. C’est pour cela, peut-être, que parfois sa tête explosait. Dans ces moments-là, tout se mettait à tourner et à danser une folle sarabande. La lumière, le rouge et l’orangé, et le violet tourbillonnaient, se poursuivaient, se rattrapaient, se mélangeaient. Remplissaient sa tête qui cognait dans ses oreilles, qui ouvrait ses yeux sur l’intérieur de lui, sur cette effervescence dévastatrice et pourtant salutaire. Car il se réveillait de sa folie, apaisé et serein. Il passait alors chez son ami. Pascal le recevait. Toujours. On aurait dit qu’il ne sortait jamais de son atelier. Théodore aimait penser cela : que son ami restait au pied de son chevalet nuit et jour. Une sorte d’être irréel. Immatériel. Le mouvement du pinceau le fascinait. « Assieds-toi sur ce tabouret. Ta présence m’inspire. Je songeais, ces temps derniers, à travailler sur les manifestations violentes de notre planète bleue. - Comment ça ? Tu veux dire les tremblements d’terre, les tsunamis et tout ça ? - Exactement. Le contraste entre la vision harmonieuse qu’on en a depuis l’espace, et l’énergie considérable dont elle est capable. » - T’as raison, elle est capable du pire. Mais aussi, toute la beauté qu’elle dégage… » Théodore est parti dans ses rêveries. Il se sent bien aujourd’hui. Le pire, c’était hier, quand ses forces à lui se sont déchaînées dans sa tête. Le calme est revenu. La planète bleue tourne paisiblement. Son ami remplit la toile, à gestes précis, amples et vigoureux. Il ne le regarde pas. Il vit près de lui, avec lui ces moments de création énergique. Il respire profondément. Il reprend pied dans la réalité. Pascal lui avait parlé sans se retourner. Les deux amis n’avaient pas besoin de longues salutations. Théodore s’est assis derrière le peintre. Le tabouret était son siège préféré : il se tenait bien droit, les pieds ancrés dans le sol, le buste solide. Son regard s’est posé un instant sur la palette. C’est vrai qu’il ne s’était encore jamais posé la question : d’où Pascal tenait-il cette facilité à rendre sur une surface tant de choses. On aurait dit qu’il les voyait sur la toile, et qu’il les faisait apparaître par magie. Depuis son tabouret, dans cet atelier d’artiste, le lieu de travail de son ami, la vie retrouvait un sens. Ses pensées s’ordonnaient. La parenthèse de la folie se fermait. Il reprenait ses projets.