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mardi 10 janvier 2012

Lumière (inspiré par l'image du jeu de cartes Dixit Sté http://www.lapouleauxjeuxdor.com: l'enfant faisant des bulles sur la montagne)

En sifflotant, Romain, a franchi la longue distance qui sépare la vie d’en bas du rêve. Tous ses trésors tiennent dans son petit ballot accroché au bout du bâton. Son pas aérien l’a conduit jusqu’en haut des montagnes, là où s’étend le ciel, là où s’envole la lumière. Il marche gaiement. Le bout du chemin n’existe pas. Romain avance encore, plus haut, encore plus haut. Le jour salue la nuit dans une incandescence agressive, comme un dernier défi, avant de disparaître lentement, très loin, derrière l’horizon encore vert des rondeurs montagneuses. Les flots du torrent se sont assombris au creux de la vallée, dressant leurs pointes anxieuses vers le gouffre insondable des cieux noirs.

Romain, de son pas dansant, gravit la pente, le nez en l’air. Son ballot sautille avec lui au bout du bâton. Romain scrute l’immensité. Il observe. Le jour n’a pas dit son dernier mot. Un halo de feu s’étend encore là-bas, loin devant lui, accentuant le contraste des couleurs de la terre et du ciel. Orange, vert, c’est la lutte. Mais la nuit guette. Elle aspire le rougeoiement, l’absorbe en une spirale mauve, puis violette, et de plus en plus sombre pour la noyer dans son obscurité.
Romain s’arrête. Il attend. Le combat va bientôt prendre fin. Les ténèbres s’étalent et enferment la vie dans leurs voiles opaques. La terre s’éteint. On ne voit plus le torrent au fond de la vallée, mais on l’entend mugir. La nuit profonde enveloppe tout. Le ballot de Romain reste immobile au bout du bâton.

Romain lève le nez, attentif. Il sonde l’infini du néant... Il est patient… Il sait… Enfin, son regard croise le scintillement de la première étoile, tout au fond du firmament… Timide, une deuxième s’allume... Puis une troisième. Et les autres s’enhardissent. Et le ciel s’illumine ce soir et redonne ses couleurs à la Terre. Les flots du torrent se dressent alors du fond de la vallée vers l’espoir de lumière.

Romain s’assoit, prend son ballot sur ses genoux et l’ouvre. Il en tire sa fiole et sa paille. Le ballot retourne au bout du bâton. Romain saute sur ses pieds, se dresse sur ses petites jambes et trempe sa paille dans la fiole avant de la porter à la bouche. Puis, d’un souffle délicat, il libère les planètes de ses rêves. Transparentes, légères, les bulles magiques s’élèvent en tournoyant, accrochant les reflets des étoiles sur leurs parois limpides. Elles progressent sans hâte, sans encombre, se balançant au gré de leur fantaisie dans une danse vaporeuse, à la rencontre des astres de la nuit.
Dans l’immensité.

Danièle

mardi 3 janvier 2012

Il avait plu toute la nuit.


Dans ce pays-là, on meurt de chaud, on meurt de soif, pendant des semaines. Le vent souffle, et les nuages s’enfuient. Tout s’envole, la poussière de la terrasse, le sable de la plage. Mais le ciel reste clair. Armand m’avait prévenue : « Ici, tu choisis, ou il fait beau et il y a du vent, ou le vent s’arrête et il pleut ».

Hier soir, le vent avait soufflé à perdre haleine. Il s’élançait, tourbillonnait, se tordait en rafale, raclait les toits de ses tentacules déchaînés, s’écrasait au pied des murs et remontait de plus belle à l’assaut des maisons. Il courbait les cyprès de sa force effrayante, s’enroulait violemment autour des troncs. Les feuilles des platanes se débattaient dans la tempête, pauvres mains en désespoir. Chacun se hâtait de rejoindre sa maison. Le vent, de plus en plus furieux, rassemblait au-dessus de nos têtes des nuages immenses, qui se gonflaient d’eau, noircissaient en diables menaçants.

Brusquement, le ronflement du monstre cessa et le déluge, comme s’il attendait son tour en contenant sa colère, se déversa sur la ville. Les vannes du ciel avaient cédé, impuissantes à retenir l’écoulement irrésistible des eaux célestes. Un ruissellement sourd, continu, épais, enveloppait la cité. L’eau crépita d’abord sur le macadam, puis à la surface de la couche liquide qui montait peu à peu, remplissant les caniveaux, atteignant la hauteur des trottoirs, masquant toutes les aspérités, les trous, les dénivelés, les marches. La pluie dura toute la nuit. Parfois, on l’entendait s’éloigner, puis elle revenait, précédée du son monocorde de son écoulement.

Au réveil, nous découvrîmes un spectacle insolite. L’eau ne s’était pas retirée, bien au contraire: elle s’étalait sur toute la largeur de la rue. Nous habitions soudain au bord d’un étang qui s’étirait entre les immeubles. Les arbres qui le bordaient s’y réfléchissaient sur fond de ciel clair. La fureur déployée la nuit avait laissé la place au calme serein d’un matin d’automne.

On oubliait de penser qu’il était impossible de sortir de chez soi.

Danièle