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jeudi 25 novembre 2021

Prendre le train en marche 2

     Donc elle rencontra Patrick. Où ? Quand ? Comment ? Je ne l’ai jamais su et d’ailleurs cela n’a pas d’importance. Il lui fit une cour discrète, tellement discrète qu’elle ne s’en aperçut pas tout de suite. Il lui cédait son tour dans la file d’attente du restaurant qu’ils fréquentaient à midi, il lui demandait la permission de s’asseoir à sa table. Elle en éprouvait du plaisir car sa conversation était distrayante et son humeur toujours joyeuse. Mais son esprit à elle, rempli par ses tâches et ses projets professionnels, ne s’attardait pas à l’attitude amicale de Patrick : il ne faisait pas partie de ses projets. Quand il finit par l’inviter à dîner, elle sursauta. Il fut surpris de sa réaction. Elle va refuser, pensa-t-il. Elle le regarda, incrédule : il se moque de moi ? Il reprit : 

— Accepteriez-vous de dîner avec moi demain soir ? 

– Pourquoi pas. »

    Ils s’accordèrent sur l’heure et le lieu de leur rendez-vous, échangèrent leur numéro de téléphone. Elle consulta sa montre, et poussa un petit cri :  Je vais être en retard !  Elle attrapa son sac et s’éclipsa.

 

    Elle escalada les escaliers et arriva en salle de réunion pile à l’heure. Lorsqu’elle entra, le sourire narquois de Régis Valdeau  s’effaça, remplacé par un long soupir de  déception. Il ne la prendrait pas en faute encore aujourd’hui, mais elle ne perdait rien pour attendre. Or, ainsi que vous connaissez Evelyne, elle avait intercepté le changement de mimique de son collègue et immédiatement compris qu’elle devait le redouter. Elle se promit de ne lui laisser aucune occasion de la mettre en difficulté. Comme de coutume, elle remplit parfaitement son rôle, ses interventions furent jugées judicieuses. La journée se termina sans encombre.

 

    Le lendemain après-midi, son téléphone sonna sur son bureau. Elle avait pourtant demandé qu’on ne lui transmette aucun appel Elle ne décrocha pas. Tellement absorbée par son travail depuis le matin, elle n’était même pas sortie se restaurer à midi. Quand enfin elle passa devant la standardiste, celle-ci l’interpella poliment :

    — Un certain Patrick a insisté pour que je note son message. 

    Evelyne prit la feuille de papier qu’on lui tendait et lut : « J’espère que vous allez bien. Je ne vous ai pas vue à déjeuner. Rappelez-moi pour confirmer notre rendez-vous. » Patrick ! Elle l’avait oublié. Elle regarda l’heure. Elle avait juste le temps de faire un saut chez elle pour se changer. Elle se demanda s’il n’était pas trop tard pour le rappeler. Elle retourna dans son bureau.

       — Allô ? Patrick…. C’est Evelyne…. Oui, je vais très bien, merci… Un gros dossier m’a accaparée toute la journée, excusez-moi… Oui, bien sûr, je suis toujours d’accord pour ce soir… Très bien… A tout à l’heure alors. 

 

Je vous assure qu’il aurait été regrettable qu’elle manquât le rendez-vous car cette histoire n’aurait pas eu de suite!

 

    Patrick se montra sous un jour nouveau. D’intéressant, il devint drôle. De courtois, il devint attentionné. Ma cousine se surprit à sentir monter en elle comme un début de sentiment jusqu’ici inconnu. Quelques autres soirées suivirent, toujours très agréables. Elle appréciait de plus en plus sa compagnie. C’était réciproque apparemment. Ils prirent l’habitude de passer un week-end sur deux ensembles. Chaque nouveau rendez-vous voyait leur relation évoluer vers une douce habitude. La tendresse s’installait, émaillée de mots doux, de petites attentions affectueuses. Ils vivaient ces journées hors du temps à l’abri des vicissitudes du quotidien. Evelyne remarqua bientôt qu’elle attendait de plus en plus impatiemment ces samedi-là, mais elle refusa de s’y attarder. Ce rythme lui convenait parfaitement car elle souhaitait conserver une part de liberté absolue, voire de solitude. Enfin, c’est ce qu’elle prétendait.

 

    Au cours de l’un de ces week-ends, Patrick parut à Evelyne plus embarrassé qu’à l’ordinaire. Il lui sembla pensif, et même légèrement anxieux.

    – Que se passe-t-il, Patrick ? Tu parais inquiet.


mercredi 24 novembre 2021

Prendre le train en marche 1

 

Prendre le train en marche, Evelyne en avait l’habitude depuis son adolescence. A cette époque, elle habitait à plusieurs kilomètres du lycée et, malgré ses bonnes résolutions réitérées chaque soir, le lendemain matin, elle arrivait systématiquement sur le quai au moment où le train démarrait. Elle était devenue experte dans sa manière de sauter à l’intérieur du wagon et de rétablir son équilibre avec un naturel extraordinaire, s’installant tranquillement et commençant à deviser avec ses voisins comme si elle les connaissait depuis toujours. Cela ne serait plus possible aujourd’hui où les portes se referment hermétiquement avant l’ébranlement du convoi.

La vie donna à ma cousine bien d’autres occasions de montrer au monde en général et à vous, lecteurs, en particulier, avec quelle virtuosité elle savait s’engager dans une action déjà en marche.

 

Cette capacité remarquable lui valut, peu de temps après son arrivée dans l’entreprise qui l’avait embauchée, de remplacer au pied levé un collègue de façon tellement efficace qu’elle fut maintenue dans le poste, au grand dam des commères bien intentionnées et des représentants  syndicaux qui voyaient d’un mauvais œil leur petit train-train d’avancement de carrière bousculé.

 

Comme vous pouvez l’imaginer, elle n’eut pas que des amis dans l’entreprise. Elle n’eut pas non plus que des ennemis. Mais Régis Valdeau était l’un d’eux, et de taille. Pensez donc : bien que sa position hiérarchique lui donnât un certain pouvoir de décision, Monsieur Baldonneur, le DG, ne trouva pas nécessaire de le consulter dans cette affaire de promotion. Encore bien heureux qu’il l’en eût informé ! De quoi aurait-il eut l’air devant les employés s’il n’avait pas au moins une petite longueur d’avance sur eux ?

Décidément, ma cousine bousculait les codes. Et cela la réjouissait. Elle était dans le sens de la vie, dans l’action, dans l’avenir. Toujours à l’aise dans n’importe quelle situation, elle s’adapta très vite à sa nouvelle position. Elle se fit même des amis. Des amis comme ceux de Facebook, évidemment. Des gens qui acceptaient d’échanger avec elle des informations, des gens qui acceptaient sa collaboration, voire qui l’appréciaient.

 

Et le train de la vie poursuivit son chemin quelques années. Jusqu’au jour où elle rencontra Patrick. Là, l’histoire prit une autre tournure.

vendredi 19 novembre 2021

Haïkus : automne

 

T-shirt Pull-over

Rayons chaleureux vent frais

Automne hésitant

 

Transparence dorée

Le marronnier nu

Haute silhouette graphique


Farandole cuivrée

Le vent taquine le sous-bois

Craquent nos pas

 

 

Cris des écoliers

Sur le ciel encore azur

Dernier trait de soleil

 

Humus odorant

Obscurité palpitante

Le brame du grand cerf

 

Pluie fine et petit vent

La rue luit faiblement

Liquide horizon

 

Tristesse des jours gris

Le village emmitouflé

Une silhouette floue s’estompe