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jeudi 24 mai 2012

ETERNITE




Océane était une superbe brune. Son sourire radieux illuminait le soir tombant. Et son rire, à gorge déployée, qui tombait en cascade rafraîchissante, gage de sa jeunesse intacte. Dès que je l’avais rencontrée, au square, j’avais su que ce serait elle. Légère, joyeuse forte, un teint éclatant de santé, une chevelure soyeuse, opulente, tout en elle respirait  la vitalité. Chaque soir, elle sortait du bureau. Je l’attendais. Elle ne regardait pas dans ma direction. C’était notre jeu. Je la contemplais, je m’emplissais les yeux de sa vigueur juvénile. Elle savait que je l’observais. Elle faisait semblant de ne pas s’en apercevoir. Elle s’arrêtait sur le seuil. Elle humait l’air, tournait la tête, mimait la surprise.

Comme chaque soir, il m’attend. Ma journée de travail disparaît subitement. Envolée la fatigue, la tension, le stress. Je sors. Il est là. J’oublie tout le reste. Il est tellement gentil, attentionné. Je n’ose y croire et pourtant notre histoire dure depuis presque un an. Notre première rencontre, reste vive à mon esprit. J’étais assise au square, feuilletant mon magazine en grignotant mon sandwich. Il s’est assis aussi naturellement que si la place lui était réservée depuis toujours. Je le voyais pour la première fois. Lui semblait me connaître. Pourtant, un an, c’est long. Que veut-il ? Chaque soir, il marche à mes côtés et me fait la conversation sur un bout de chemin.
Est-ce un jeu ? Lequel ?

J’aimais lorsqu’elle faisait semblant de me découvrir à l’angle de l’immeuble. Son visage s’animait, ses lèvres s’ouvraient et s’allongeaient sur la blancheur éclatante de ses si jolies petites dents rondes. Elle pressait le pas, s’approchait. Elle tendait vers moi son corps souple, neuf. Sa poignée de main me transmettait son énergie et toute la chaleur de sa vie me traversait en ondes revigorantes, jusqu’au bout de mes doigts. Je l’accompagnais sur le chemin de sa maison. Un an. Elle me plaisait tellement. Je laissais le temps passer. Je n’étais pas pressé. Avec elle, l’éternité semblait repousser ses limites. Il avait pourtant fallu que je me décide :
«  Aimerais-tu une promenade le long de la jetée ?
– Merveilleux. Ce soir le coucher du soleil sera sans aucun doute magnifique. »

Il m’ouvre la portière. Je ne connais pas sa voiture. D’habitude, il me raccompagne à pieds. Le trajet jusque chez moi est devenu si intéressant. Il me raconte l’histoire de la ville comme s’il y avait vécu lui-même. Quelle érudition. Je suis envoûtée. Pourtant je suis surprise qu’il n’ait jamais parlé d’avenir. Aujourd’hui, peut-être. Je m’installe. Quel confort ! Le parfum du cuir m’accueille et m’enveloppe. Je voyagerais jusqu’au bout de la nuit avec lui. Il me rassure. Il paraît jeune et pourtant, je sens sur lui l’expérience des sages. Il conduit sans hâte. Il arrête la voiture le long de la berge. Son regard profond me scrute. Mon sang bouillonne.

J’aimais la fraîcheur de son teint. Elle était différente de toutes les autres. Yvonne était blonde, drôle, un peu ronde. Je l’avais appréciée. Charlotte m’avait fait découvrir la saveur particulière des rousses. J’avais encore le souvenir acidulé de Margot, brune, elle aussi, impatiente de dévorer la vie, dommage, ce fut trop court. Il y eut aussi Cunégonde, aux yeux noisette, lèvres framboise, peau laiteuse, Akilah, allure féline, couleur chocolat et Li Mei, ou « belle fleur de prunier », qui m’a laissé un souvenir de miel. Océane, à la fois ardente et douce, au parfum suave, m’avait presque fait oublier que le temps passait, même pour moi.

Il m’enlace, se penche sur moi. Enfin, il se décide. Je pose ma tête sur son épaule. Je sens son souffle sur mon visage. Je souris. Je suis heureuse.

Elle s’était alanguie dans mes bras, le visage tendu vers moi. Jamais je n’avais vu une gorge si belle, d’un albâtre si pur. La veine de son cou palpitait doucement, flux de vie.

Ses yeux se font plus doux, ses lèvres découvrent ses dents éclatantes…

Quel délice ce fut ! Je m’abreuvai à la source de sa vigueur : son sang de feu, neuf et abondant étancha ma soif en m’offrant une nouvelle parcelle d’éternité.

Danièle Chauvin