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lundi 12 décembre 2011

Tailleur et minijupe

Comme chaque jeudi, après son rendez-vous chez sa coiffeuse, mademoiselle Dupuis, Ernestine de son prénom, est venue s’attabler derrière un Darjeeling comme seul le Café des Quais sait le préparer. Sa mise en plis est réussie, cette fois. La semaine dernière, elle était trop frisée. Elle l’avait fait remarquer sèchement. Mais le mal était fait, il n’y avait plus eu qu’à attendre la séance suivante. Aujourd’hui, elle a bien précisé qu’elle ne laisserait pas une chance supplémentaire. C’est qu’il faut savoir se faire entendre parfois sinon on vous traite bientôt par-dessus la jambe. Heureusement, on l’a satisfaite cette fois. Avant de sortir du salon, elle a posé délicatement son chapeau sur ses cheveux, un petit feutre gris, avec un léger mouvement de drapé sur un côté. Mademoiselle Dupuis aime bien ce chapeau, il va avec tout, surtout avec son tailleur de printemps. Il fait un temps merveilleux cet après-midi. Le soleil s’est fait attendre cette année, mais c’est sans doute pour mieux rayonner à présent. C’est l’occasion de ressortir son tailleur.
Mademoiselle Dupuis a acheté son journal, Le Figaro, au kiosque situé juste en face du café et elle est venue s’asseoir en terrasse pour profiter de la lumière printanière Ce n’est que lorsqu’elle a été servie qu’elle l’a ouvert. Voyons : quelles nouvelles aujourd’hui ? On se demande comment tout cela va tourner. Après tous les désordres de l’année dernière, Pompidou est le seul capable de remettre la France en ordre de marche. Ah là là ! J’espère que le calme reviendra définitivement !
Mademoiselle Dupuis a levé les yeux du Figaro. Quelqu’un s’était installé à deux tables d’elle. Sous ses sourcils relevés, un éclair de réprobation teintée de malice passe dans ses yeux. Un sourire sarcastique étire à peine ses lèvres minces.
Cette petite jeune, comment peut-elle lire avec ses mèches dans les yeux ? Le Monde, évidemment, un journal pour les coupeurs de cheveux en quatre ! Qu’y comprend-elle ? Ça porte encore des chaussettes et ça se prend au sérieux. Quand elle aura pris froid, avec sa minirobe, elle ne viendra pas se plaindre. Tous les mêmes ces jeunes, ils suivent la mode sans se poser de questions et ils jouent aux grandes personnes en croyant révolutionner le monde.

Alice, a bien remarqué la petite bourgeoise en tailleur BCBG, avec son chapeau sur ses bouclettes, mais il n’y avait pas d’autre place sur cette terrasse. Elle se fiche bien de ce qu’elle peut penser. Qu’elle continue de lire son Figaro. Elle s’est assise tout de même deux tables plus loin. Sans attendre sa consommation, elle s’est plongée dans la lecture du Monde. Minirobe écrue et chaussettes noires. Ses pieds vont et viennent devant elle et sous son siège, pour finalement s’immobiliser dans une posture à la limite de l’équilibre, l’un appuyé par la pointe sur le socle de sa table, l’autre sous sa chaise, en position de départ, comme sur un starting-block. Pas encore dix-huit ans. Le bac dans quelques semaines. Elle s’intéresse vaguement aux affaires politiques. En mai de l’année dernière, sa sœur a manifesté sur les barricades. Elle ne comprend pas tout. Elle se ronge les ongles en se concentrant sur sa lecture. Cet article est très détaillé. Il est question des prochaines élections présidentielles. Si les jeunes avaient le droit de vote, ça bougerait, évidemment. Il y en a assez de se faire exploiter. C’était bien la peine de descendre dans la rue en 68 pour que rien ne change ! Mais tous ces candidats… Alice a bien du mal à analyser leurs arguments, et surtout à faire le lien avec ce que la prof de philo attend. Elle leur a demandé de s’inspirer des évènements politiques actuels pour la disserte sur la démocratie.
Ah ! Voilà son Orangina. Elle lève les yeux pour remercier le serveur.
C’est pas vrai, la vieille est en train de la regarder avec insistance ! Elle en était sûre. De quoi elle se mêle ? Est-ce qu’Alice lui demande pourquoi elle lit ce journal de fachos ? Non, alors qu’elle la laisse tranquille. Alice reprend sa lecture en se rongeant les ongles de plus belle, les jambes encore plus instables et crispées.

Mademoiselle Dupuis, en l’observant, se rappelle les élèves dont elle avait encore la charge, il y a à peine quelques mois. Son expérience des grands adolescents lui fait bien sentir que cette jeune fille n’est pas très à l’aise. Visiblement, elle ne lit pas ce journal pour le seul plaisir de s’informer, il semble qu’elle rencontre une difficulté ou un problème.

– Pardon, mademoiselle…
Alice en était sûre. Elle fait comme si elle n’avait rien entendu. Elle penche un peu plus le nez sur son journal.
– Mademoiselle, auriez-vous l’heure, s’il vous plaît ?
Ça alors, elle n’a pas de montre, la bourge ?
– Il est cinq heures.
– Merci, mademoiselle. Je ne porte pas de montre car je les détraque. Dès que je les ai sur le poignet, elles s’arrêtent.
Alice n’en a que faire de ses problèmes de montre. Jamais, elle ne pourra terminer cet article tranquillement ?
– Ce qui se dit dans ce journal semble vous intéresser beaucoup. Est-il indiscret de vous demander pourquoi ?
– Je dois rédiger une dissertation sur la démocratie.
– Ah bon ! Je pourrais peut-être vous être utile. Je suis enseignante, en retraite depuis peu, et il m’arrive de rendre service à des jeunes gens comme vous.
Alice n’en croit pas ses oreilles. Elle a bien dit : « Je peux peut-être vous être utile » ?
– Ben… Euh…C’est gentil. Oui, j’veux bien.
– Quand devez-vous rendre votre devoir ?
– Lundi prochain.
– Je dois y aller maintenant, mais…
Mademoiselle Dupuis ouvre son sac à main, en extrait un petit carnet muni d’un crayon qu’elle feuillette rapidement :
– …nous pourrions nous retrouver ici même, demain, vers dix-sept heures trente. Qu’en pensez-vous ?
– Ben… Euh…Oui, j’y serai. Merci, madame.
Danièle

mardi 6 décembre 2011

L'agonie du platane

C’est à sept heures ce matin-là que les scies se mirent à assourdir les villageois en tronçonnant sans pitié le platane séculaire. Il ombrageait généreusement l’entrée du chemin qui mène à la Sans-Fond depuis la nuit des temps et son exécution surprit tout le monde. Quel fracas, quel massacre. Cela commença par l’installation rugissante du camion supportant la cabine élévatrice de l’élagueur. L’ouvrier, muni de son instrument de mort, se posta à l’intérieur et s’y enferma. Son collègue actionna alors le mécanisme qui lui permit d’atteindre les branches les plus hautes.

C’est alors que débuta l’agonie du géant. Le grincement de la scie laissait parfaitement imaginer la terreur muette du malheureux condamné. Chaque branche se déchirait lentement. Puis, un craquement plaintif, comme le dernier gémissement sous une torture fatale, précédait la chute. Sa rencontre brutale avec le sol résonnait en un rebondissement sourd au milieu du froissement de son feuillage effrayé. L’élagueur reprenait son travail de destruction sur la branche suivante. Aucune n’échappa au tortionnaire. Quand le tour du fût arriva, la tronçonneuse, telle une hyène hurlante s’évertua, ronfla, tonitrua, grinça, siffla. Le colosse résistait de toute sa noblesse, de toute sa densité. Chacun se terrait derrière ses persiennes. Nul ne souhaitait assister au crime.

Le silence retomba, si soudainement qu’il surprit. Le camion benne chargé des branchages, les ouvriers, les outils, tout avait disparu. Un silence de mort. La Nature aphone oubliait de respirer. Les oiseaux eux-mêmes s’étaient tus. Un grand vide happait la vie. Hébétés, les villageois déambulaient comme des fantômes sans voix, sans épaisseur, dans l’irréalité du spectacle. Les ouvriers n’avaient laissé qu’un moignon de tronc, et, tapissant le sol tout autour, la sciure, fine, poudreuse, étouffant le bruit des pas sur elle.

Cela avait duré toute la journée. Il leur avait donné du fil à retordre. Il ne s’était pas laissé assassiner sans résister. Mais contre les machines puissantes de ces hommes sans état d’âme, la lutte était inégale. Sa force naturelle qui avait bravé durant des siècles le vent, l’orage et la tempête était restée vaine. Ils avaient eu raison du seigneur. Ils l’avaient réduit en un tas informe de tronçons, de fagots et de débris.

Honte !

Danièle

vendredi 2 décembre 2011

Le beurre salé dans le café noir.

Ce matin, je voyage. Assise sur mon tabouret, dans mon petit studio du sixième étage sans ascenseur, je trempe ma tartine de pain recouverte de beurre salé dans mon café noir. Derrière ma fenêtre, novembre n’en finit pas d’étendre ses guenilles grises au ras des toits de Paris. Mais moi, je suis à Saint-Brieuc chez ma grand-mère.

Il est huit heures et la lumière délicate de ce matin d’été entre dans ma chambre lorsque Mamy ouvre les rideaux. L’arôme du café me chatouille les narines et m’annonce que la journée sera délicieuse. Je jaillis de mon lit, saute au cou de ma grand-mère et me précipite vers la source de ce bon présage. Mamy me suit bientôt. Je n’ai que dix ans, c’est pourquoi elle ne verse au fond de mon bol qu’une petite quantité de café. Mais je vais ainsi pouvoir y tremper ma tartine de beurre salé. La rugosité du pain s’efface à peine devant l’onctuosité dorée du beurre enrobé d’arabica sucré à point. Lorsque j’aurai terminé ma tartine, Mamy ajoutera du lait pour remplir mon bol.
Après ce petit déjeuner de paradis, il sera temps d’entreprendre toutes sortes de découvertes dont Mamy m’aura réservé la surprise. Nous irons ramasser les coquillages à marée basse, ou bien nous observerons la mer qui recouvrira la plage en remontant.

Il y aura les galettes de sarrasin repliées en deux sur une délicieuse tranche d’andouille agrémentée de crème fraîche. La pâte brune, un peu épaisse, au goût de châtaigne, accompagnera merveilleusement l’andouille dont l’amertume sera adoucie par la crème.

Il y aura aussi la visite d’un village où se déroulera un pardon. Le saint-patron du village sera soutenu, tout le long de la procession par les Bretons portant leur large chapeau rond au-dessus de leur veste noire brodée d’or. Les Bigouden suivront le cortège dans leur costume de velours noir richement brodé, leur coiffe immaculée fièrement fixée au sommet de leur crâne par ses rubans de dentelle noués sous le menton. Le bedeau mettra toute son énergie en œuvre pour que les cloches carillonnent si fort qu’on les entendra jusqu’au village voisin.

De mon bol, le café monte en volutes odorantes et je le respire sans modération tout en tournant et retournant contre mon palais le doux mélange salé-sucré de mon enfance.

Danièle

samedi 19 novembre 2011

Petits plaisirs de la vie

Le vieux Jack s’était levé aussi tôt que d’habitude pour aller remettre de l’ordre au café. Pourtant, on était dimanche aujourd’hui et c’était le jour de fermeture. Mais, d’abord, le vieux Jack remettait les lieux en état chaque matin, et puis, Sydney avait mis le feu hier soir et la nuit avait été longue. Sa guitare enchantée avait transporté son petit café dans le monde de la soul. On avait chanté et dansé jusqu’aux premières lueurs du jour.

Hé ! Ce Sydney, tout de même, quel type ! D’où lui est venue son inspiration ? Mystère. Mais chacun y a trouvé son compte. Sa façon de raconter le quartier, ses saisons, ses habitudes et ses évènements importants ou minuscules, c’est fort, ça. Hier soir, il a eu un couplet pour chaque personne présente. Même Molly qui n’est arrivée que depuis deux semaines a eu le sien.

Cette petite est le rayon de soleil qui leur manquait, à Jessica et à lui. Son frère a eu la meilleure idée de sa vie en lui demandant de s’en occuper. Depuis qu’elle est chez eux, sa femme a changé. On dirait même qu’elle a rajeuni. C’est vrai qu’ils en avaient pris leur parti de ne pas avoir d’enfant. Et puis, avec l’école de danse de Jessica et son café-concert, leur vie était bien remplie. Mais Molly a tout éclairé d’un jour nouveau.

Elle est pétillante, cette gamine, et aussi raisonnable. Elle est contente de tout. Sa présence me réjouit décidément. C’est une idée de Jessica, de lui apporter les pancakes le dimanche matin. Elle est devenue une vraie mère poule avec elle. Elle dit que ça la rend heureuse de gâter sa nièce. Alors moi aussi je suis heureux.

Ainsi allaient les pensées du vieux Jack pendant qu’il balayait. A la fin de son travail, il descendit la grille et tourna la clef avant de prendre le chemin du retour. Il sifflotait. Il était d’humeur guillerette. Il regarda l’heure : Molly devait déjà déjeuner. Il irait lui dire un petit bonjour dès qu’il serait arrivé, dans cinq minutes.

Molly sirotait son café. C’était dimanche matin. Quel bonheur de pouvoir rester assise dans le silence. Au salon, le bruit était incessant. Et la station debout, toujours. Rester aimable, même en fin de journée, lorsqu’elle était harassée. Stella, pourtant exigeante, comprenait son personnel. Oui, Molly appréciait son travail. Elle aimait l’ambiance qui y régnait. Cette effervescence joyeuse l’amusait parfois. Il semblait que le sort de l’Univers dépendît de la réussite d’une coupe ou d’un brushing. Mais il arrivait que certaines clientes se prissent très au sérieux. À les entendre, tous les yeux seraient braqués sur elles dès qu’elles sortiraient du salon. Alors, elles devenaient désagréables.
A ces moment-là, elle se disait : « Ne te laisse pas impressionner, Molly, respire, prends de la hauteur. »

De la hauteur, réellement : Molly s’envolait, très haut, au-dessus du salon, au-dessus de la ville. Elle devenait une bulle légère, irisée, suspendue sur un souffle, s’approchant peu à peu de la lumière. Tout devenait minuscule, les bruits s’éloignaient, rien n’avait plus autant d’importance. Elle observait toute cette agitation depuis le firmament de sa pensée multicolore.
̶ Merci, mademoiselle. Cette coupe est vraiment très réussie. J’imagine déjà les envieuses en train de me dévisager ce soir, au cocktail de Marie-Bérangère. »
Et voilà : une bonne respiration, un sourire, un regard différent et tout devenait possible, même la reconnaissance de cette acariâtre.

Molly étala une couche de sirop d’érable sur ce délicieux pancake. Où son oncle les trouvait-il ? C’étaient les meilleurs de la ville. Molly dégustait son déjeuner et la sérénité du lieu. Propreté, ordre, décor accueillant. Le vieux Jack et Jessica lui offraient le confort du corps et du cœur. Elle leur en était si reconnaissante.

Tiens, le vieux Jack est de retour.
̶ Hello, Molly ! Tu as bien dormi ? »

Danièle

lundi 24 octobre 2011

Défaites vos paquets !

« Défaites vos paquets ! »
La fête est à son comble.
Tout le monde est réuni autour d’Élisabeth et Claude.


Élisabeth a épousé Claude en secondes noces très tardives. Comme les vendanges, ses noces-là furent celles de la maturité dorée, récolte de fruits gorgés du soleil de leurs vies.
Leur existence, avant leur rencontre, ressemblait grossièrement à l’image qu’ils s’étaient dessinée au fil de leur enfance, modifiée par l’intransigeance et l’idéalisme de leur adolescence, puis corrigée par le réalisme du quotidien et enfin bouleversée par les épreuves inévitables. Chacun avait suivi sa route, assez traditionnelle. Mariage en blanc, riz jeté par la jeunesse invitée, discours du marié à l’apéritif, chansons populaires au dessert, bal au son des morceaux en vogue, la fête s’inscrivait en charnière entre l’insouciance du célibat et la responsabilité de l’engagement à deux. Le chemin suivi, accepté par compromis ou choisi par conviction, les avait conduits inexorablement l’un vers l’autre.



Élisabeth et son mari Jean-Luc se sont perdus de vue.
Tout avait si bien commencé si l’on en jugeait par les photos, instants éphémères, capturés sur papier glacé. Témoins passifs de moments que l’on pensait essentiels, elles représentent généralement les fêtes autour du gâteau d’anniversaire, du sapin de Noël ou de la remise du diplôme mérité. Les clichés de la vie éveillent la nostalgie des temps heureux ou… le regret des erreurs commises.
Élisabeth coexistait depuis de longues années avec Jean-Luc, mari distrait, se contentant du train-train quotidien, de l’avancement par ancienneté et des matchs de foot à la télé, mais brave homme, en apparence. Leurs enfants, Aurélie, Caroline et Benoît constituaient l’essentiel de leurs conversations à propos des décisions incontournables que tous les parents doivent prendre.
Sur le point de faire un choix professionnel crucial, Élisabeth exposa à Jean-Luc la situation et l’enthousiasme qui la motivaient. Il la regarda, effaré de rencontrer ce jour-là une Élisabeth qu’il ne connaissait pas. La perspective de ses absences régulièrement répétées loin de la maison, de la désorganisation de sa routine le priva d’abord de toute réaction. Puis il s’enferma dans un mutisme indigné. Quand il en sortit, ce fut pour dire : « Je ne supporterai pas cela. » Une violente décharge étreignit Élisabeth. En un éclair, la vacuité de sa vie lui sauta aux yeux. Elle respira profondément et lui annonça sa volonté de le quitter. Jamais Jean-Luc n’aurait pensé sa femme capable d’une telle incongruité. Cette nouvelle l’assomma. Quand il se réveilla, Élisabeth lui était désormais inaccessible. Le divorce se déroula comme tous les divorces, lentement, difficilement et chacun y perdit des plumes. Il n’y eut pas de photo de cette défaite.

Aurélie, Caroline et Benoît résidèrent une semaine chez leur père, l’autre chez leur mère.
Élisabeth exerça ses nouvelles fonctions avec passion. Ses enfants, devenus presque adultes, sollicitaient souvent son opinion. Élisabeth ouvrait alors le réfrigérateur et les placards de la cuisine. Un festin improvisé stimulait les esprits et rendaient les langues agiles. Des conversations passionnées naissaient spontanément ces soirs-là. On reconstruisait le monde, tantôt sérieux comme des papes, tantôt hilares à la suite d’un bon mot. Fêtes de la complicité.


Le mariage de Claude était une réussite. Il avait épousé, pour le meilleur et pour le pire, la douce Françoise.
Le meilleur leur fut d’abord largement distribué. Ils s’étaient rencontrés au travail, où ils s’étaient immédiatement reconnus. Leur binôme constitué par hasard pour une mission s’était révélé particulièrement efficace. Leur patron, soucieux de la bonne évolution de son entreprise, prit rapidement l’habitude de s’appuyer sur leur complémentarité évidente. Claude et Françoise, associés dans le travail ne tardèrent pas à s’apercevoir que, séparés, ils s’ennuyaient. Ils décidèrent de s’unir devant les hommes. Leur bonheur rayonnait. Chaque jour était une nouvelle fête. Le soleil, la pluie, l’orage, le travail, le repos, les vacances, les voyages, tout était prétexte à goûter les délices la vie. Ils se sentaient tellement pleins d’amour qu’ils se virent bientôt dans l’urgence de le partager.
Stéphanie et Delphine naquirent, ensemble. Réjouissance dans le cercle familial, cadeaux de bienvenue de la part des collègues. Photos de la naissance, photos de la fête du baptême, photos des premiers pas, du premier jour d’école, photos des vacances en bord de mer, à la montagne, photos des réunions familiales sur la pelouse de la maison.
Il y eut évidemment quelques défaites, toujours majeures pour l’enfant qui les vit. Quand Stéphanie laissa s’échapper son ballon rouge au-dessus du square. Quand Delphine cassa son seau de plage en tombant dessus. Et les premières amours déçues. Sans parler des fâcheries « définitives » -heureusement suivies de réconciliations émues- contre les parents qui, décidément ne comprenaient rien à rien. Il y eut aussi quelques défaites d’adultes. Un rendez-vous manqué provoqué par un malentendu faillit ébranler l’édifice de leur entente. Des vacances compromises par une mission aussi inattendue qu’urgente ont couvert le ciel de leur été d’un lourd nuage d’orage. Ils n’avaient pu négocier un report de date ni pour la mission, ni pour leur voyage et l’assurance n’avait remboursé qu’une maigre partie des frais engagés. Leur entreprise avait bien voulu faire « un geste ». Le mal était fait. Le temps perdu ne se rattrape pas.

Un jour, Françoise constata la présence une grosseur au sein gauche. Le diagnostic tomba. Les chances étaient minces. Toute la famille se battit énergiquement. Le temps était compté. Il ne fallait pas le gaspiller. Les fêtes prirent une coloration plus soutenue. On dégusta les heures gagnées sur la souffrance. Les liens se renforcèrent encore, comme pour contenir l’évolution inéluctable de la maladie. On lutta contre le mauvais sort, afin d’en reculer l’échéance. Les jeux n’étaient pas égaux. Pourtant, on refusa de se laisser envahir par la détresse. Si la maladie remporta la victoire, elle ne parvint pas à mettre en échec le courage alimenté par l’amour et la tendresse dont Françoise fut entourée jusqu’à son dernier souffle.
Certaines défaites, pourtant d’une grande cruauté, sont ferment de vie.



Claude est en retraite. Il profite de ses petits-enfants, Julien, né chez Stéphanie, Amandine et Fabrice, nés chez Delphine. Le mercredi et une partie des vacances scolaires sont l’occasion de venir chez papy, le roi du barbecue, du jeu des petits chevaux et de la pétanque.
Élisabeth s’est installée dans la petite maison qu’elle avait aménagée les dernières années de son activité. La crémaillère n’est pas encore pendue. Ses enfants sont loin d’ici. Seule Caroline va bientôt revenir avec son mari : ils vont installer leur café littéraire dans la ville.



Delphine, assise en face de Claude, sirote son thé en attendant que Fabrice et Amandine terminent de ranger leurs jouets avant de partir.
─ Ils n’ont pas été trop turbulents ?
─ Oh tu sais bien que non. Je suis toujours si content de les accueillir !
─ Tiens, au fait, tu te rappelles ma copine de lycée, Caroline ?
─ Oui, je m’en souviens.
─ En réalité, nous sommes toujours restées en contact. Et bien, elle est revenue dans la région et elle ouvre son café littéraire à deux rues d’ici avec son mari. Elle m’a invitée à l’inauguration. Stéphanie aussi a été invitée. Elle me l’a dit hier au téléphone. Tu viendras avec nous ? Caroline a insisté sur le fait que ce sera très convivial, très familial. Elle a réussi à y réunir son frère et sa sœur les globe-trotters.
─ Pourquoi les globe-trotters ?
─ Et bien, Aurélie parcourt le monde pour suivre son ami Sébastien, qui est ornithologue, à la recherche des espèces d’oiseaux inconnues. Et Benoît travaille à Paris mais il se déplace très souvent sur tous les salons internationaux : il se passionne pour toutes les nouveautés technologiques propres à améliorer notre quotidien. Il assure que c’est le début d’une ère nouvelle. Selon lui, personne n’y échappera.
─ Il y a déjà longtemps, vous étiez souvent les uns chez les autres, durant vos années de lycée. Je trouvais ces jeunes très intéressants et j’aimais bien que vous les fréquentiez. Mais leurs parents sont séparés, je crois.
─ Oui. Cela a eu lieu l’année où Caroline passait son bacc. La pauvre n’a pas pu fêter sa réussite comme les autres filles. C’est peut-être pour rattraper ce temps-là qu’elle organise cette inauguration. Bon, alors, tu viens ?
─ Pourquoi pas.

Élisabeth, affable, passe d’un groupe à l’autre. Elle se penche vers sa fille, interrogative. Caroline jette un regard discret vers la porte, répond à sa mère.
Claude est arrivé avant Stéphanie et Delphine. Il ne reconnaît personne. Intimidé, il s’immobilise sur le seuil. Caroline, elle, l’a reconnu. Elle s’avance, se présente, passe son bras sous le sien. Elle le conduit auprès des autres. Comme tous ces jeunes ont changé !
─ Vous connaissez ma mère : elle venait nous chercher chez vous quand Delphine et Stéphanie nous invitaient.
Élisabeth, souriante, lui tend la main. Il la salue, étonné. Il se rappelait une petite femme effacée, toujours vêtue de gris et de noir, coiffée à la va-vite. Le voici en présence d’une personne élégante, sûre d’elle, qui l’entraîne vers le buffet. Il saisit un verre de champagne, le lui offre, en prend un autre :
─ Je porte un toast à la réussite de nos enfants. Bravo pour cette petite cérémonie.
─ Merci. Je suis heureuse pour Caroline et son mari : c’est un succès. Je souhaite que leur avenir soit à l’image de cette soirée.
Claude se sent de nouveau jeune. Il s’étonne de l’émoi qui monte soudain en lui. Il croyait son cœur éteint en même temps que celui de Françoise. Il s’enhardit.
─ Que penseriez-vous si je vous invitais au concert ? La semaine prochaine, l’orchestre philharmonique de Berlin interprétera des œuvres de Beethoven et de Mahler à l’auditorium.
─ Je penserais que c’est une charmante idée !



Élisabeth et Claude ont élu domicile dans la maison d’Élisabeth. La crémaillère sera pendue en ce début de juillet. Pour l’occasion, les petits enfants, porteurs d’espoir, promesse d’avenir, seront gâtés. Élisabeth et Claude ont pris grand plaisir à choisir avec soin chaque cadeau.



« Défaites vos paquets ! »
La fête est à son comble.
Au signal, les petites mains potelées, telles les abeilles affairées sur les lavandes d’été, s’agitent au-dessus des paquets. Bruissements de papier froissé, déchiré. Cris aigus, brefs, joyeux. Exclamations étonnées, enchantées. Sophie, Julien, Amandine et Fabrice manifestent bruyamment leur plaisir.
Regards attendris, les aînés sourient devant le bonheur rayonnant des enfants.
La pendaison de la crémaillère, symbole de l’établissement d’un nouveau foyer, réunit aujourd’hui toute la famille autour d’Élisabeth et de Claude.
C’est une belle fête, défaite des années sombres.
Danièle

mardi 18 octobre 2011

La première fois que tu as eu seize ans

La première fois que tu as eu seize ans

La première fois que tu as eu seize ans, je t’ai interdit de sortir par la porte, tu as sauté par la fenêtre. Évidemment, ta chambre était située au rez-de-chaussée. Mais tout de même, il était cinq heures du matin. Tu avais laissé un petit mot sur ton lit, bien en vue : « Ne t’inquiète pas, je suis parti surfer. »
Bien sûr, je me suis inquiétée ! J’ai sauté dans ma voiture. J’ai réveillé tous les parents de tes copains susceptibles de t’accompagner dans cette stupide équipée. Ils m’ont ouvert leur porte, hagards, sommeilleux, compréhensifs. Vérification faite par un coup d’œil dans la chambre de leur fils : non il n’était pas avec toi. Ils ne pouvaient donc pas m’indiquer où tu pouvais te trouver.
J’ai parcouru toute la côte depuis le point le plus éloigné que tu aurais pu choisir. C’était assez loin car je connaissais l’énergie qui était capable de te faire marcher, vêtu de ta combi, ta planche sous le bras, jusqu’au spot le plus intéressant. Mais la mer était calme. Et la plage était vide.
J’ai visité ainsi tous les points de départ possibles. Et toujours, la mer était calme et la plage était vide.
Cette plage vide faisait monter en moi l’angoisse, irrépressible. Même si je savais à quel point l’eau était ton élément. Je savais aussi comme tu étais prudent ordinairement et quasi inconscient quand il s’agissait de la glisse sur l’eau. Les scénarios les plus tragiques se bousculaient dans mon imagination. Dans le petit matin, le rivage pâle accentuait ma solitude. Seule, je te cherchais. Je scrutais la plage et la mer pour t’apercevoir. Le sable gris, la mer étale me répondaient que tu n’étais pas là, et me laissaient imaginer pourquoi : tu n’étais pas venu ici, tu étais déjà reparti, il t’était arrivé quelque chose, le pire, évidemment.
Le cœur de plus en plus serré, je regagnais ma voiture. Je quittais cette crique. Je poursuivais ma recherche quelques kilomètres plus loin. Même décor désert. Même crainte, un ton plus haut. Solitude de ma quête stérile, solitude de mon angoisse croissante. Je remontais dans ma voiture et, de spot en spot, me rapprochais de la maison. Sans toi.
J’avais garé la voiture devant le portail. Je revenais bredouille, le cœur lourd. Dans le tumulte de mon esprit, j’échafaudais les stratégies les plus efficaces pour te retrouver. La gendarmerie ? Les chiens policiers ? Les pompiers ? Les zodiacs et leurs plongeurs ?
Soudain, mon angoisse s’est muée en une colère É-CAR-LATE. Tu étais là, dans l’embrasure de la porte, souriant. « Maman, je me demandais pourquoi tu étais sortie si tôt. »
̶ Espèce de malade ! Je t’ai toujours dit de ne jamais aller surfer seul, et quand tu pars, tu préviens ! Que ce soit la dernière fois, ou tu seras définitivement interdit de surf ! »
Danièle






La première fois que tu as eu seize ans

La première fois que tu as eu seize ans, je t’ai interdit de surfer seul. Tu profitais de toutes les occasions pour jouer avec la mer en compagnie de tes copains. Vous escaladiez les vagues, puis vous glissiez, à la limite de la chute, portés par cette force liquide, parfois complice de vos exploits, parfois adversaire triomphante.
Vous restiez de longs moments, assis à califourchon sur vos planches, attendant LA vague. Celle qui monterait haut, s’enroulerait en un tube long et profond. Celle qui vous transporterait dans un monde liquide, bleu, mouvant, roulant. Celle qui partagerait avec vous sa puissance, sa vitesse. Celle qui vous communiquerait l’ivresse.
La « série » arrivait. Cinq vagues, régulières, de plus en plus amples. Toute la stratégie consistait à vous trouver au bon endroit, au bon moment, là où elle débuterait, exactement. Vous vous élanciez alors, plus vite qu’elle, comme pour la rattraper, la dépasser. Vous vous redressiez sur votre planche et vous entamiez une course vertigineuse. Épousant l’onde, vous glissiez, descendant et remontant son courant, équilibristes aquatiques, dans une danse acrobatique.
Se rapprochant de la rive, elle s’enroulait autour de vous. L’apothéose! Vous étiez dans le tube ! Vous poursuiviez votre glisse, à l’intérieur du monstre bienveillant, la main frôlant sa voûte. Le paradis. Éphémère. Elle s’écrasait sur la plage dans un fracas d’écume. Vous disparaissiez. La mousse s’étalait sur le rivage, vous y déposant, ravis.
Danièle

lundi 10 octobre 2011

L’OMBRE DES FEUILLES DE PLATANES

Maryse est sortie tôt ce soir pour être sûre de ne pas être en retard. Elle attend ce jour depuis plusieurs mois. De son travail à sa maison, la distance se mesure en heures. Ascenseur, course folle, bousculade à l’entrée du tram. La ville passe le matin dans un sens et le soir en sens inverse. Les passagers gardent les yeux fixés sur un point devant eux, indifférents, fatigués. Quelle est leur destination ? Quelqu’un les attend-il ? Maryse ne le saura jamais.
Il fait beau. L’ombre des feuilles des platanes danse sur les berges du fleuve.

Cette semaine, sa collègue Nadine lui a annoncé qu’elle attendait un bébé. Elle serait en congé dans six mois. Maryse l’a félicitée. Nadine lui manquerait durant ces quelques semaines. Serait-elle remplacée ? Maryse aime bien Nadine, elles déjeunent ensemble au Croc-Midi chaque mercredi, elles prennent le même tram le soir et font un bout de chemin en bavardant. Nadine descend deux stations avant Maryse.
Il fait beau. L’ombre des feuilles des platanes danse sur les berges du fleuve.

Un jour, quand Maryse a voulu acheter sa carte mensuelle de tram, la machine était en panne. Elle a dû payer son transport à l’unité. Le lendemain, tout était rentré dans l’ordre, elle a pu obtenir son titre de transport habituel. Elle n’a jamais voulu prendre un abonnement à l’année. Elle préfère rebondir d’un mois sur l’autre. Sait-on jamais.
Il fait beau.
L’ombre des feuilles des platanes danse sur les berges du fleuve.

Maryse regarde sa montre. Elle sera à l’heure. Elle a bien réuni, dans sa pochette rouge, tous les documents demandés. Elle a parfaitement préparé ce moment. Elle n’a d’ailleurs pas rencontré de difficultés particulières. La seule contrainte a été l’attente de l’accord de la banque. Aujourd’hui elle effectue la dernière démarche : la signature chez le notaire de l’achat de son appartement, 12, Quai des platanes, à quelques minutes du lieu de son travail.
Il fait beau. L’ombre des feuilles des platanes accompagnera désormais ses pas sur les berges du fleuve.
Danièle

samedi 8 octobre 2011

A marée basse

C’est l’heure de ramasser les coquillages a dit maman. Comme tous les jours, à marée basse, on est tous venus sur la plage. Tout le monde cherche des coquillages avec un seau, ou un sac en plastique. Ils marchent, dans tous les sens. Ils ne se mouillent pas les pieds parce que, quand on cherche les coquillages, on met des chaussures, c’est maman qui le dit. Il y en a même qui enfilent les bottes, comme mon papy. Il y a toujours beaucoup de monde à ce moment-là sur la plage. Ils sont tous au même endroit. Je leur tourne le dos, je sais qu’ils sont là, avec les enfants et même leur chien. Je peux même vous dire que je les entends, mais ce qu’ils disent ne m’intéresse pas. Moi, j’ai les fesses qui trempent dans l’eau. Je me suis trouvé une chouette flaque, juste pour moi. Le sable se malaxe comme de la terre. Je creuse autour de moi, et la mer remplit le trou en même temps. C’est comme un petit bac où l’eau baigne mes jambes et mes fesses. Qu’est-ce que je suis bien. Maman m’a laissée là tout à l’heure. Elle est super maman : elle veut bien que je reste toute seule. Oh, je ne suis pas toute seule, évidemment, puisque mes parents ne sont jamais très loin. Mais avec mon bob qui me cache les yeux, je ne vois rien, seulement la mare d’eau de mer autour de moi et je crois que je suis toute seule.

La mer monte. Elle n’arrive pas vite ici. Le sable est tellement imbibé que je plonge ma main dedans. Trrrrououou. C’est doux. Je sens tous les petits grains qui glissent entre mes doigts. Frrrrrrr . Maintenant, j’ai de l’eau par-dessus les jambes. Mon T-shirt est tout mouillé, jusque sous les bras. J’avais pris ma pelle, mais je n’en ai pas besoin. Je préfère creuser avec mes mains. Le sable est mouvant. Il bouge. On dirait qu’il est vivant. On dirait qu’il veut s’enfuir au fur et à mesure que j’essaye de l’attraper. C’est très rigolo. Je suis presque complètement entourée d’eau maintenant. Je crois que je suis une navigatrice perdue au milieu de la mer. Ohé ! Ohé ! Non, je ne crie pas. Je pense seulement : « Ohé ! Ohé ! »Si je criais, on viendrait me chercher. Je ne veux pas partir tout de suite. Clap, clap, clap. Je tape la surface, j’agite mes doigts entre le sable et l’eau. Ça clapote, ça fait des bulles. Blebleble. Aïe ! Je cligne des yeux. Mon bob me protège du soleil, mais l’eau brille et elle m’éblouit. Bon, où est maman ? Il ne faut pas que j’oublie ma pelle. Hop je l’attrape juste avant qu’elle soit complètement noyée. « Maman ! Maman ! Attends-moi ! Oui, je cours. Attends-moi, j’arrive. » Oufff.
Septembre 2011, Danièle Chauvin,
Illustrations Carole Menahem-Lilin
Danièle

vendredi 7 octobre 2011

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Les trottoirs étaient vides, mais ils n’étaient pas tristes. Les quartiers besogneux, dépeuplés les dimanches, respirent habituellement l'immobilisme, la solitude, une espèce de sentiment de fin, de néant. Mais, ici, la vie avait laissé son empreinte sur les murs de ces deux ateliers fermés. C’était comme si elle disait : « Je vous laisse un gardien des lieux, un ami qui vous tient compagnie les jours de solitude, une promesse de retour. »

Contraste. Lumières de soir et gris de pluie. Chaleur vibrante et vibration du graphe. Silhouettes animées et trompe l’œil Pop’art. Les rideaux métalliques baissés et les portes fermées restituaient la totalité des œuvres décoratives dans le calme de la rue déserte.

Mon regard hésitait à s’arrêter sur l’une plutôt que sur l’autre.

A ma gauche, l’incandescence d’un soleil couchant embrasait des immeubles dont les fenêtres éclairées répondaient au ciel par le même jaune d’or. De petits personnages, se détachant sur les carrés lumineux s’agitaient dans une conversation animée. On devinait dans cette fresque que la vie se poursuivait dans les appartements, au creux des foyers, que le bruit des conversations, des discussions plus ou moins futiles, plus ou moins violentes, avait reflué là quand il avait quitté la rue.
Je restais plantée au milieu de la chaussée, sans crainte d’être renversée par une voiture de livraison qui ne passerait pas avant le lendemain matin. J’imaginais les histoires de ces gens, leur trajet chaque jour pour se rendre au travail, et celui du retour jusqu’au seuil de la nuit. Vies laborieuses et pourtant nourries d’espoir, espoir d’une prochaine naissance ou d’une guérison, espoir d’une promotion ou d’un travail. Tout simplement espoir que la vie continue, un peu meilleure, un peu moins dure. Que demain sera peut-être un bon jour.

Le tagueur était-il l'un d'eux ?


J’ai fini par me détacher du crépuscule de la ville. Tournant le regard vers la droite, je me suis perdue alors dans les volutes grises, hyperboles gracieuses, mouvement vibratoire du camaïeu de gris. L’ondulation douce des lignes traversait le bâtiment, ou plutôt son rez-de-chaussée, comme les ondes légères provoquées à la surface d’une eau calme, par le choc délicat d’une feuille morte. Elle lui imprimait une nostalgie, comme une berceuse ancienne, une invitation au repos, à la sérénité, au départ dans le monde des nuits sereines rythmée par la douce ballade d'une pluie printanière, gage de récoltes abondantes.

Elle invitait à quitter le tumulte pour se laisser endormir au creux d'un rêve primitif. Je m'imaginais alors le petit, pas encore tout à fait enfant, percevant les remous de la vie, bien protégé au creux du ventre de sa mère. Là, tous ses sens déjà en éveil pouvaient recevoir en douceur les manifestations de l'agitation humaine, sans en ressentir pourtant la violence. Le filtre maternel transformait le vrombissement des moteurs en ronronnement, la cacophonie des altercations en mélodie, le tumulte de la foule en murmure.

Le tagueur était-il encore cet enfant ?

Danièle Chauvin, septembre 2011. Photo de Carole Menahem-Lilin. Autres photos de la série sur "Les rues de Carole" (Tribu des artistes)

mercredi 2 mars 2011

Mensonge d’écume le matelot

Mensonge d’écume le matelot, né sur le port, a embarqué jeune sur La Vagabonde. Loin de chez lui durant de longues périodes, il enchante les enfants et leurs parents quand La Vagabonde le leur ramène. Il leur raconte des histoires toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Il est toujours très attendu car on sait que chaque voyage enrichit son répertoire.

Quand il se lance dans ses récits, son public traverse avec lui l’Océan, affronte les terribles tempêtes, s’éponge le front ruisselant de sueur sur les eaux tropicales, écope énergiquement le pont sous les rafales des averses d’hiver. Il rencontre des personnages extraordinaires dans des contrées étonnantes, où le soleil n’a pas la même couleur, où les forêts sont si denses qu’il y fait nuit, où la chaleur accable à tel point que les gens ne portent pas de vêtements et dansent pour faire venir la pluie.

Il parle aussi de pays où le froid règne toute l’année même si le soleil ne s’y éteint pas pendant six mois, où les pêcheurs brisent la glace pour lancer leur hameçon, où des montagnes gelées dérivent sur la mer, où la plupart des animaux sont blancs.

On ne sait jamais où la fiction se détache de la réalité. On voyage avec lui tout autour du Monde et du rêve. Sa parole est abondante. Chaque aventure en entraîne une autre et toutes jaillissent, s’élèvent, retombent et rebondissent

comme l’écume à la crête des vagues.
Danièle

mardi 1 mars 2011

Rengaine

EIle remplit ma tête
Me donne la migraine
Saleté de rengaine
Je l'entends qui répète
En boucle

Égrène son couplet
En enfonce la graine
Et force ma mémoire
Oblige à fredonner
Sans cesse
En cercle

Tout autour de ma tête
Tell'ment que j'en ai marre
De l'entendre en miroir
Réfléchir sans fléchir
Mêmes mots, mêmes notes.
Je cherche l’antidote
Ôtez-moi cette scie
Silence

Elle investit la place
Ne laisse aucun espace
Pour entrer autre chose
Même rien, une pause
Un instant un moment
Que son chant lancinant
Usant

Arrêter, respirer
Est-ce trop demander
Mais elle se cramponne
Rien ne la déboulonne
Elle reste plantée
Butée

Et m'accompagnera
Ne se décrochera
Qu'enfin la nuit tombée
Hébétée sombrerai
Alors dans le repos
KO

Danièle

mercredi 2 février 2011

La Chandeleur

Le 2 février, 40 jours après Noël, on célèbre la Chandeleur.
La Chandeleur constitue une fête chrétienne qui rappelle la présentation de Jésus au temple de Jérusalem et la purification de la Vierge.
La "fête des Chandelles" (festa candelarum), célèbre le renouveau de la nature, les souhaits de fortune et de bonheur. C'est en effet à la Chandeleur que les travailleurs de la terre reprenaient leur activité des champs après les rigueurs de l'hiver.
C'était également l'occasion de préparer des plats à base de farine, qui par leur forme ronde et leur couleur dorée, symboliseraient le soleil.