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jeudi 31 janvier 2013

Variations en bleu majeur au-dessus de Paris



 Du bleu gris au gris bleu, le ciel de Paris, s’obscurcit peu à peu. Les lumières des réverbères serpentent au-dessus du flot des voitures. Les fenêtres s’animent, s’éclairant et s’éteignant au fil des allées et venues des occupants des appartements.
Jade, assise sur le rebord de sa fenêtre ouverte, derrière ses jardinières d’herbes odorantes, est songeuse : « Je suis inquiète. » Il a fait beau aujourd’hui, et la douceur du printemps entre, généreuse, dans le petit salon. Dans les jardinières, il y a aussi des fleurs, rouges, comme celles qui leur répondent, depuis l’angle de la pièce, tout près du bureau. Jade a gardé son gilet : les soirées sont encore fraîches. Mais la jeune femme veut respirer, dès les premiers jours, le charme de la saison du renouveau. Ses pensées, retenues derrière son visage sérieux et ses paupières baissées, se bousculent. « Je suis très inquiète. » Elle n’entend pas la rumeur de la ville depuis sa rue tranquille. De temps en temps, une voiture passe, présente quelques secondes au pied de l’immeuble, puis elle se fond dans le va et vient lointain de l’avenue voisine.

Claire, dans sa chambre, enlève les vêtements sévères qui l’ont accompagnée aujourd’hui. Ce soir, elle doit changer de look. Elle prendra d’abord un bain parfumé pour éliminer toutes les traces de sa vie laborieuse. Claire est femme de ménage, pardon, technicienne de surface, pour financer en partie ses études de droit. Ensuite, elle prendra un soin particulier de ses mains desséchées par le travail. Elle dénouera son chignon sage  pour laisser s’étaler sa chevelure dorée sur ses épaules. Elle enfilera ensuite la petite robe rouge si seyante, choisie cet après-midi pour l’occasion. Ses ballerines vernies lui rendront les jambes légères. Le temps frais de ce début de printemps nécessitera un gilet. Mais Claire n’a que celui qu’elle porte par-dessus sa blouse de travail. Elle cherche au fond de son placard le châle offert l’année dernière par sa grand-mère. Elle le trouvait trop précieux et ne pensait jamais pouvoir s’en servir. Mais aujourd’hui, il rehaussera parfaitement sa petite robe rouge.


Du gris bleu au bleu de nuit, le ciel de Paris s’assombrit. Les lumières des réverbères s’affirment. Les murs au crépi gris, les murs aux briques rouges se trouent de rectangles lumineux. Les occupants des appartements se dessinent brièvement, disparaissent, reviennent et s’en vont.

Jade n’a pas bougé. Elle pense à Claire. Elle l’imagine se préparant ainsi qu’elle le lui a conseillé cet après-midi en choisissant avec elle la petite robe rouge. Elle aimerait bien être invisible pour accompagner son amie dans cette aventure. De nouveau tous les arguments, favorables, contraires, qu’elles avaient passés en revue depuis plusieurs jours,  défilent. Elle se demande comment cette histoire se conclura.

Claire est fébrile. Elle jette un dernier coup d’œil au miroir, range une mèche de cheveux, remonte le châle sur ses épaules. Elle est prête. Elle se demande : « Ai-je eu raison  de me lancer dans cette bataille ? » Elle descend, prend le chemin de son rendez-vous.


Du bleu nuit au noir sombre, le ciel ténébreux enveloppe Paris. Les lumières des réverbères  triomphent. Les volets clos enferment les occupants des appartements. Seuls quelques rectangles, dans les étages, narguent  la nuit.

Jade est rentrée. Il fait très frais. Elle ferme la fenêtre.

A vingt heures quinze précises, Claire sonne.

Jade regarde sa montre : vingt heures quinze.

Devant Claire, la porte s’ouvre. Au fond du vestibule, on découvre le salon bruissant de conversations feutrées. Une foule de gens élégamment vêtus glisse sur le parquet. «Bonsoir. Qui dois-je présenter ? demande la soubrette»

Jade pense : « Les dés sont jetés. »

Claire s’avance. «  Dites au professeur Hautefort que Claire est là. »

        Jade s’assoit dans son fauteuil, prend son livre afin d’en poursuivre la lecture et soupire : « Claire me racontera demain. »


Du gris bleu au bleu gris, le ciel de Paris s’est éclairci. Le flot des voitures circule au pied des réverbères éteints et indifférents.
Jade rejoint Claire à l’entrée du métro. Elle est impatiente et inquiète pour son amie : « Comment cela s’est-il passé ? »
Claire sourit : « Tu avais raison, ça a été horrible. Quand Hautefort m’a vue, il est devenu rouge sang. Il a crié :
“ Que faites-vous ici ! C’est une réception privée !
– Je sais, j’ai été invitée par madame votre épouse, qui souhaite me présenter à votre ami le commissaire Charpe ici présent ce soir. Il sera heureux de connaître une personne avec qui vous vous conduisez très mal. “
Et je lui ai montré les photos que j’ai prises avec mon portable.
“Que dites-vous ?
– Je dis que j’ai rencontré votre épouse, comme vous le savez, au cours de mon stage dans son cabinet d’avocate. Elle a trouvé mon travail très intéressant. C’est pourquoi elle a insisté pour que je sois là ce soir et que j’aie l’occasion de rencontrer des personnes influentes. Je lui en suis particulièrement reconnaissante.
– Vous fréquentez ma femme ?
– Vous ne le saviez pas ? Nous nous rencontrons chaque semaine : elle me conseille pour la rédaction de mon mémoire. J’ai pour elle une grande estime et je m’interroge sur la conduite à tenir envers elle en ce qui concerne notre, comment dire, relation ?
– Vous ne lui direz rien !
– A elle, peut-être pas, mais au commissaire…
– Vous ne ferez pas une chose pareille.”
Là-dessus, sa femme est arrivée, toute souriante et elle m’a entraînée vers ses invités. On m’a donné plusieurs cartes de visite.»
Jade prend le bras de son amie : « J’espère qu’il te laissera tranquille maintenant. » Claire se raidit : « Peut-être, mais à présent, je vais entamer une procédure. Je vais le poursuivre. Je vais commencer par porter plainte dès ce matin.
– Alors, pourquoi as-tu fait cela hier soir ?
-- Je voulais voir la peur dans ses yeux. »

Du bleu gris au bleu pur, le ciel de Paris annonce une journée décisive.



lundi 7 janvier 2013

Lecture coup de cœur: LUNE CAPTIVE DANS UN ŒIL MORT de Pascal Garnier


Lune captive dans un œil mort de Pascal Garnier
Les premiers résidents d’une seigneuriale attendent les suivants, font leur connaissance et tentent d'y vivre agréablement leur vieillesse.
Sécurité absolue garantie rime avec ennui et solitude.
Ce livre  nous régale de la description du quotidien de nos anciens dans ce lieu vendu comme paradisiaque grâce à  son style plein d’humour flegmatique, et du même coup, il nous ôte catégoriquement l’envie, si elle existait, de souscrire à un tel projet immobilier.
Un roman noir-acide.