Inspiré de : La reproduction interdite, 1937, René Magritte (1898-1967)
Il l’avait rencontrée par hasard. Elle lui avait
plu. Non, elle n’était pas séduisante. Elle était solide, sérieuse et aussi
gentille, douce. Il s’était mollement installé dans la peau du fiancé. Il suivait son bonhomme de chemin vers un
bonheur ordinaire. Il avait présenté Fanny à ses parents. Le mariage aurait
lieu cet été, à l’issue de sa période d’essai chez Brico-Castor. Bonne famille,
bonne éducation. Situation stable et tout et tout. On ne demande rien de plus
chez les Durant. Lever, doucher, déjeuner, circuler, travailler, revenir,
dîner, télé, coucher. Ciné, danser le samedi soir, camper, bronzer l’été.
Salaire, bébé, maison, retraite. Ainsi va la vie chez les Durant.
Ce matin, le réveil avait suivi une nuit agitée.
Cauchemar, effroi, angoisse. Cauchemar d’une route droite contre un horizon bas
et noir ; il n’y avait pas d’arbre, pas de paysage, personne, rien que
cette route rectiligne jusqu’à l’infini. Il marchait d’un pas pressé, fatigué
du chemin déjà parcouru, épuisé par celui à venir. Angoisse de l’avenir trop
sûr, angoisse d’une vie sans vague, angoisse d’un bonheur trop lisse, plat,
terne, d’un bonheur triste. Effroi devant le gouffre de l’engagement.
Effacement des autres possibles, fermeture du rêve d’avenir.
Ce matin il passerait voir Fanny pour lui dire
adieu, avant de rendre sa démission.
Vincent tourne le dos et s’éloigne de lui-même.