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jeudi 21 octobre 2010

Autour de sa guitare

Autour de sa guitare, le musicien s’enroule. Frappe des pieds, hoche la tête, se dévisse le cou. Distorsion du son, distorsion du corps. La guitare rugit en dissonances graves. Elle s’élève au sommet des bras tendus au ciel. Les notes en jaillissent, étincelles stridentes. Danse et chante, guitariste. Enflamme-toi, enflamme-nous. Pousse-nous jusqu’au bout de notre émotion vive. Résonne ta musique, rythme notre cadence. Vibrent tes cordes, vibre ton rock. Tes accords montent, aussitôt redescendent.
Puis une note pure tinte, se déploie, s’allonge et, suspendue, attend, enfin s’amincit en un fil argenté et s’éteint. Soupir.
Enfin, fortissimo fracassant, s’écrase l’accord sombre, s’entremêlent les accents saturés. L’instrument et l’artiste, poursuivent leur dialogue et nous entraînent avec eux dans leur rêve fantastique. Soudain il s’agenouille aux pieds de sa maîtresse tandis qu’elle déverse sur lui son ruissellement majeur, syncopé. Nous sommes debout, battant des mains. Ils entendent nos voix, rehaussent encore la leur, rebondissent d’une corde sur l’autre. Il frémit, s’arque et hurle tandis qu’elle pleure ses derniers soupirs. Tout s’éteint.
Noir.
Silence.

mercredi 14 juillet 2010

Haïkus (Danièle)

Fleurs multicolores
S’offrent au soleil radieux
Enfin le printemps


Douces pluies longtemps
Abreuvent les jeunes pousses
Bourgeons duveteux


Veste légère remplace
Le gros manteau trop chaud
La terre se réveille


Petit bras tout rond
En robe de coton léger
Se tend vers l’écume


Nuage effilé
Suspendu dans la chaleur
Espoir de fraîcheur


Le jour chaud s’allonge
L’ombre enfin au pied des arbres
Retient les passants


Contre les murs blancs
Les vieux sur les bancs assis
Témoins de la vie
Danièle

PRINTEMPS (Danièle)

Depuis quelques jours le ciel a repris de l’altitude et de la couleur. Le platane qui, chaque matin, salue Maria lorsqu’elle ouvre ses persiennes, s’égaye de vert tendre. Le soleil renaissant joue avec le vent et agite les ombres légères, décorant les murs et les trottoirs de petits motifs dansants. Le forsythia brandit ses branches illuminées sur le balcon. Maria pose son plateau sur la petite table près de lui. En s’asseyant, elle promène son regard. Le merle lance quatre notes et sautille auprès du platane. Il s’arrête puis recommence. Son chant est plus vif depuis le retour du printemps. Maria savoure son petit-déjeuner dans le matin frais. Elle respire profondément, écoute la ville qui s’éveille, s’amuse de la parade des pigeons. Ce matin, elle n’allume pas la radio car elle a décidé qu’aucune nouvelle catastrophique ne viendrait troubler son plaisir. Elle prend son temps. Ses pensées vagabondent, sautent par-dessus la clôture de la résidence, s’échappent au bord du lac où elle ira demain avec Violaine et Stéphanie pour nager, rire et plaisanter. Ce samedi débute bien.

Mais c’est le dernier jour de la semaine et non le premier du week-end. Le sien, puisqu’elle travaille dans le commerce s’écoule sur le dimanche et le lundi. Vite, le bol et les couverts dans le lave-vaisselle. Le reste du lait dans le frigo. Le pain à sa place. Un coup d’œil à sa montre. Aïe ! Elle va être en retard. Elle se rue dans l’entrée, attrape sa veste au porte-manteau. Son sac est encore sur la table du salon où elle l’a déposé hier soir quand elle a répondu à Violaine sur son portable. Elle rafle les deux objets ainsi que le roman commencé, qu’elle poursuivra dans le train. Elle fourre le téléphone et le livre dans le sac. L’ascenseur ne tarde pas, heureusement. Dans la rue, les passants, dans une sorte d’instinct de conservation, se détournent pour la laisser passer. Elle ne les voit pas. Elle court et s’essouffle, se jurant de reprendre bientôt ses habitudes sportives quelque peu délaissées par paresse durant l’hiver. Haletante, elle atteint la petite gare et arrive sur le quai en même temps que le train. Elle y pénètre et cherche une place assise, mission quasi impossible à cette heure de pointe. Sans se décourager, elle remonte le compartiment. Elle a eu raison de s’obstiner : elle trouve finalement à s’asseoir entre une adolescente enfermée dans son monde, les écouteurs de son I-pod sur les oreilles et un homme, plutôt jeune, à l’allure décontractée, T-shirt vague, jean et baskets, un sac à dos en toile kaki posé à ses pieds. Il la salue en souriant. Elle lui rend son sourire, étonnée de rencontrer une telle amabilité dans le train à cette heure-ci. Les banlieusards qui le prennent pour aller travailler n’ont pas l’habitude d’être de bonne humeur si tôt. Plus tard non plus d’ailleurs. Peut-être que le printemps tout neuf commence à dépoussiérer les esprits. Elle s’installe et sort son livre.

- Ah ! C’est le dernier Cauwelaert ! Vous ne perdez pas de temps. Je l’ai entendu le présenter à la radio avant-hier.

- Moi aussi. Mais je travaille dans une librairie, ce qui m’a permis de l’avoir dès sa parution.

- Une librairie ? Quel lieu magique pour travailler.

- J’avoue que cela me plaît beaucoup. Les livres sont des portes ouvertes sur tous les domaines possibles : la réalité, l’esprit, le rêve. Grâce à eux, je suis une exploratrice statique de l’univers. Et vous ?

- Moi, je voyage aussi beaucoup, mais de façon plus concrète : en autobus, en train, en bateau, en avion. Mais aussi en pirogue, ou à dos de mulet, selon les missions que l’on me confie.

- Ah bon ! Vous êtes géographe ?

- Non. Je suis membre de l’association « L’eau source de vie ». Je dois creuser des puits avec les habitants des villages concernés et former ceux-ci à l’entretien de l’installation.

- Que faites-vous à Paris aujourd’hui ?

- Nous montons un nouveau projet : nous en étudions avec précision toutes les données, nous l‘évaluons, nous trouvons le financement, nous achetons le matériel, nous organisons son acheminement et nous répartissons les tâches. Nous avons bouclé les derniers détails hier soir et je vais pouvoir me ressourcer chez moi en Corse quelques jours avant de repartir en Afrique.

Maria est curieuse :

- Où s’est déroulée votre dernière mission ?

Le jeune homme se tourne vers elle. Elle a posé sa question comme si cela était d’une importance capitale. Elle le regarde avec une telle intensité qu’il en est surpris. Il ne s’attendait pas à être aussi intéressant. Il raconte donc un village malien où les femmes sont contraintes de faire des kilomètres à pied chaque jour pour chercher l’eau. Il décrit les gestes quotidiens, les habitudes, la nourriture, les préoccupations de ces gens, leurs espoirs.

Elle a tellement lu qu’elle a l’impression de s’être déjà rendue dans ces contrées, qu’elle a rencontré ces villageois. Elle le suit, sous le charme, à mille lieues de leur compartiment. Sous le soleil implacable elle le regarde travailler, entouré des hommes qui s’activent avec lui sous le regard curieux et espiègle des enfants. Les femmes effectuent les tâches domestiques et agricoles, perpétuant des habitudes ancestrales. Elles ne se plaignent pas, leur bébé dans le dos, courbées sur les sillons de mil, ou frappant dans un rythme immuable le fond de leur mortier avec leur pilon.

Mais le train ralentit. Le temps a passé si vite.

- C’est le terminus, avertit Maria.

- Dommage, notre conversation ne faisait que commencer.

- Appelons-nous dans la journée.

- Je n’ai pas de téléphone mais je serai avec un ami jusqu’à dix-huit heures, heure à laquelle il me conduira à l’aéroport. Voici son numéro.

Il fouille dans son sac, en sort une vieille enveloppe qu’il déchire pour y inscrire le numéro et le tend à Maria. Sans réfléchir, elle le saisit.

- OK ! Je vous appelle. A tout à l’heure.

Elle se précipite sur le quai et court vers son métro. La réalité a repris ses droits. Maria regarde sa montre. C’est le tic des gens pressés, des gens stressés.

À peine arrivée à la librairie, elle doit enregistrer les offices livrés tôt ce matin, pointer les bordereaux, placer les livres en rayon, appeler les clients pour les avertir de l’arrivée de leur commande. Après cela, elle rejoint sa collègue en magasin et est disponible pour la clientèle qui commence à affluer.

La pose déjeuner lui paraît très courte. Elle a juste le temps d’avaler quelques bouchées et de boire un peu avant de reprendre son poste.

En fin d’après-midi, les clients sont moins nombreux. Il y a même un moment où personne hormis le personnel ne circule dans le magasin. Maria respire. En jetant machinalement un coup d’œil à l’horloge accrochée au-dessus de l’escalier, elle fait un bond. Dix-sept-heures trente ! Vite son téléphone.

Malédiction ! Ce matin, dans sa précipitation, elle a emporté la télécommande de la télévision. Elle paye cher son étourderie ! Et pas moyen de téléphoner d’ici, son patron est intraitable sur le sujet : « A l’ère du téléphone portable, vous n’avez aucune excuse pour établir vos communications depuis le fixe de l’entreprise, cela encombre la ligne inutilement. »

Pour une fois qu’elle rencontrait quelqu’un d’intéressant, elle ne pourrait pas le revoir. Quelle malchance. Elle ne connaît même pas son nom !

Toute sa légèreté et sa bonne humeur printanières volent en éclat. Elle est consternée. Il ne lui reste plus qu’à terminer sa journée comme toutes les autres : finir son travail, prendre le métro, puis le train et rentrer chez elle.

Lorsqu’elle pénètre dans son salon, il est déjà vingt heures, comme d’habitude. Le téléphone semble la narguer sur la table. Elle s’affaisse sur le canapé, extirpe la télécommande de son sac et allume la télévision. Elle n’a pas faim. Elle regarde d’un œil morne les informations. Toujours des nouvelles tristes ou désagréables ou encore catastrophiques. Ici un homme s’est noyé dans sa voiture dont il a perdu le contrôle, là trois délinquants ont agressé un retraité pour lui voler son portefeuille, ailleurs, le célèbre repris de justice s’est évadé en emmenant en otage un gardien de la prison où il était détenu, et bien sûr, le Gouvernement annonce de nouveaux impôts pour alimenter la caisse de retraite. Après ces réjouissances ordinaires, le présentateur annonce l’émission suivante : Terres méconnues.

Incapable de la moindre réaction, Maria ne songe ni à se préparer un semblant de repas, ni à aller se coucher, ni même à changer de chaîne. Les publicités défilent sous son indifférence totale. Puis, l’animatrice de « Terres méconnues », souriante, s’adresse à son invité.

- Bonjour, Patrice Carcou. Vous revenez du Mali et vous y retournez dans quelques jours. Pourquoi ?

Gros plan sur l’invité. Mais… C’est lui !

- Oui, je passe une grande partie de l’année là-bas car, avec mon association « L’eau source de vie » nous assistons les populations dans leur recherche d’eau potable.

Maria se redresse. Elle ne manque pas un mot, pas une image du reportage. Et, surtout, elle note minutieusement les coordonnées de l’association « L’eau source de vie ».

Elle appellera dès demain.Danièle

vendredi 28 mai 2010

DEGRADATION

Goutte à goutte, tombent les perles d'eau
À la surface
Scintillent en éclats, ondulent en anneaux
Disparaissent sans bruit au pied des grands roseaux

Furtives, discrètes,muettes, perlent les larmes
Sur ton visage
Fugaces et légères, imperceptible alarme,
S'évanouissent, ton sourire insouciant les désarme

Fil à fil se resserre la pluie
À l'horizon
S'approche pas à pas, de plus en plus fournie
Mouille les grands roseaux, inonde la prairie

Insidieusement vire la vie
Au fil du temps
Jour après jour, sournoisement, brise l'envie
Ronge sans rémission ta vaillance affaiblie

Sombre et dense, galope la bourrasque
Griffe la terre
Arbres fous, grands fantômes échevelés, claquent
Les grands roseaux, frappés, pantois, ploient sous l'attaque

Nuée ardoise enferme l'espoir
Au creux du cœur
Amoncellement lourd, fardeaux, chagrins, devoirs
Écrase, pulvérise, te jette dans le feu noir

Danièle

mardi 25 mai 2010

Associations

NUIT
Halo de lune apaise la terre. Le tintement lointain des étoiles assourdies s’étend au creux de ton silence. Assouvie, je respire ton parfum de fleurs endormies et d’herbes mouillées. Nuit profonde désaltère l’été. Sereine, enveloppée de tes douces fragrances, je coule mon rêve au moule bleu de ton obscurité.

VEINE
Veine de cuivre bleu, coupante en éclats muets, je suis ta rugueuse âcreté, crescendo, brûlure étourdissante.

JARDIN
Herbes folles, sang des arbres. Au jardin anisé croît le velours tendre, frissonnent les feuilles de lumière, gazouillent les pas crissants des enfants. Touches multicolores et couleurs espiègles où se cache le jus du miel nouveau, surprennent l’amertume de l’écorce.

CHEVELURE
L’onde de soie de ta chevelure s’écroule en lumière irradiante, ruisselle et crépite en frôlement fleuri. Perles de vanille, parfum de sueur. Le balancement mordoré fuit sous les doigts qui s’enfouissent. Fraîcheur évanescente, pain d’épice cuivré. (Inspiré de « La naissance de Vénus » de Botticelli)
Danièle

Reste encore

Souvenir tu m’appelles. Je voudrais résister.
Douce insistance, attirance, la nuit repoussée
Image floue, regard d’onde. Je me laisse faire
Refaire le chemin, redessiner tes mains
Quand je suivais ta voix dans l’or et la lumière.
Incertaine parole s’estompe avec le jour.
Remonter doucement tout le film à rebours.
Mon cœur s’accroche, retient le songe, déjà lointain.
Reste encore. Je ne dors. Garde-moi prisonnière
Des barreaux transparents des heures oubliées.
Attends encore un peu. Les contours effacés
S’impriment. S’éloigne ta silhouette à l’horizon
Du rêve. Paupières closes. La mémoire chancelle.
Aux rives du sommeil balance la nacelle.
Tu traverses le pont.
Danièle

lundi 25 janvier 2010

Un violoncelle sur un quai



Photo de Robert Doisneau 

     Aïe ! Et voilà ! Il n’a pas eu le temps. Les portes se sont refermées sur son bras. Quel choc. Ils sont tous entrés ensemble là-dedans. Avec lui. Ils l’ont poussé, soulevé, transporté. Il n’a eu aucun moyen de résister à la foule compacte qui, comme un rouleau compresseur sans âme, l’a propulsé à l’intérieur du wagon, jusque contre la paroi opposée. Dès qu’il s’est senti déposé sur le sol, il a essayé de remonter le courant, tantôt bousculant, tantôt s’excusant. Mais la marée humaine, puissante inertie, le retenait. Ces quelques minutes lui ont paru interminables. Une seule pensée, un seul but : ressortir de cette maudite rame. Son violoncelle est resté sur le quai. Il l’avait lâché quelques secondes pour… Pourquoi, au fait ? Tout s’était précipité : l’arrivée de cette foule au même moment que celle du métro. Les portes s’étaient ouvertes, et, à peine les autres voyageurs avaient-ils eu le temps de descendre, qu’ils s’étaient engouffrés à l’intérieur. Et lui a été happé par cette horde sauvage. Après tous ces efforts, il allait sauter sur le quai, rejoindre son violoncelle, et attendre avec lui une prochaine rame capable de les accueillir tous les deux. Mais au moment où il croyait pouvoir le rejoindre, la sonnette avait retenti, immédiatement suivie du claquement des portières. Sur son bras. Douleur, désespoir, colère, angoisse. Ses doigts écartés s’agitent. Il va devoir attendre le prochain arrêt et revenir en sens inverse. Pourvu que son bras ne soit pas arraché ! Pourvu que son violoncelle n’ait pas bougé !

     Le violoncelle est seul sur le quai du métro. Il y a un instant encore, Romain était avec lui. Ils attendaient tranquillement quand tout à coup, ils se sont retrouvés entourés, comprimés. D’où venaient tous ces gens ? Quelle vanne avait été ouverte ? Et puis Romain a disparu. Il ne l’a plus vu. Il sentait seulement une masse humaine tourner autour de lui. C’est un miracle qu’ils ne l’aient pas bousculé ! On ne pourra jamais comprendre ces hommes. D’abord pourquoi Romain avait-il voulu traverser Paris avec lui à cette heure-ci ? C’était la première fois qu’une telle idée lui prenait. D’habitude, ils circulaient de préférence en milieu d’après-midi ou bien largement après dix-huit heures. Et comment pensait-il le faire entrer dans ce compartiment exigu, lui qui prenait la place de deux ou trois humains, selon le sens dans lequel il était orienté ? Au moment où la foule s’était précipitée, le métro était arrivé. Quelle cohue ! Tout le monde se bousculait à qui mieux mieux. Tout à coup, il n’y a plus eu personne autour de lui. Il a entendu la sonnerie et le claquement des portières. Le métro s’est ébranlé. Il s’éloigne à présent avec son chargement d’hommes et de femmes entassés. Il voit le bras de Romain coincé dans la porte, avec ses doigts qui s’agitent. Combien de temps le violoncelle devra-t-il rester là ? Qui viendra le chercher ?

     Bon, bon, ça va, ce n’est plus la peine de se précipiter comme ça, il l’a raté son métro. Le voilà qui s’en va. Il est bondé d’ailleurs. Il n’y a même pas assez de place pour que tout le monde puisse y entrer en entier. Regardez ce bonhomme avec son ventre de propriétaire, les deux mains dans les poches, debout à l’entrée du wagon. Il s’est installé là, aux premières loges pour admirer les murs crasseux dans l’obscurité des tunnels, sans doute ? Et cet autre avec son bras qui dépasse. Celui-là aurait pu attendre le suivant au lieu de risquer de se faire arracher un membre dans le premier virage. Ce n’est pas en agitant les doigts frénétiquement qu’il va améliorer sa position. Les gens sont fous. Et ce Mathieu qui continue de courir, mes semelles vont devenir fines comme des feuilles de papier à cigarette à force d’être maltraitées de la sorte ! Il ne prend même plus la peine de me cirer depuis qu’il vit dans cette ville de cinglés. Toujours s’agiter, toujours galoper, dans les rues, dans les escaliers, dans les couloirs. Foncer à travers la foule et me faire marcher dessus tellement souvent que mon cuir est tout râpé, à croire qu’il ne sent rien. Pourtant ça doit lui écrabouiller les doigts de pied tout ce monde qui me piétine ! J’étais encore récemment une jolie paire de souliers mais maintenant, je ne ressemble plus à rien.
     Tiens ! Un violoncelle sur le bord du quai. C’est un décor original. Ils se mettent à ériger des statues à présent dans le métro, et juste dans le passage, c’est malin ! Un violoncelle ! Pourquoi pas un piano à queue ! Il a l‘air bien fier celui-là ! Il n’a peur de rien. Personne ne lui a dit que c’était dangereux de rester là ? Il faut lui expliquer que ce sont tous des aliénés, des fous furieux, qu’il risque de se faire réduire en petit bois, que dis-je en allumettes. Hep ! Hep ! Le violoncelle ! Mais tu vas ralentir, Mathieu ? Hé le violoncelle, va-t-en ! Moins vite, Mathieu, voyons tu ne vois pas ce pauvre violoncelle, tu le dépasses et tu ne remarques rien. Et où va-t-il s’arrêter ? C’est une maladie qu’il a dû attraper en arrivant dans cette ville. On y rencontre des choses tellement surprenantes qu’à leur contact on perd la raison, et j’ai bien peur qu’il soit victime à son tour de leur frénésie délirante. Hé, le violoncelle, tu vas finir au feu. Méfie-toi ! Ils vont te massacrer. Oh ! Il ne m’a pas entendue. Il est déjà derrière moi !
Danièle CHAUVIN



lundi 18 janvier 2010

La récompense de l'écrivain public

Quand je rends un travail d'écriture, j'ai toujours un doute sur l'exactitude de l'expression pour une efficacité maximum. Comment être satisfait de la rédaction d'un texte ?


L'écrivain public, comme l'écrivain, doit chercher à s'approcher le plus possible de la perfection. Pour ma part, je sors le plus souvent un peu frustrée de ces exercices d'écriture, de relecture ou de rédaction. En effet, la langue est un matériau si riche, si nuancé, qu'il est toujours possible de "faire mieux".

Ma technique, pour minimiser ce sentiment, est d'écrire le document, ou de le corriger puis de le laisser reposer au moins une nuit. J'ai en effet remarqué que la nuit "porte effectivement conseil", et fait surgir l'expression ou la tournure de phrase exactement adaptée à la circonstance. Jusqu'à présent, si j'en crois le retour, comme disent les professionnels de la communication et du commerce, c'est pour moi la bonne méthode. En effet, les personnes qui ont fait appel à mes compétences d'écrivain public-écrivain conseil, d'abord perplexes sur le bien-fondé de mes tarifs, m'ont, jusqu'à présent félicitée, de la qualité de mon travail de rédaction, de présentation, voire de conseil en écriture.

Quelle meilleure récompense pour l'écrivain public, que la reconnaissance de ses clients ? Surtout quand le travail est en lui-même un réel plaisir ? Je me compare à ces sportifs ou ces artistes qui gagnent leur vie en faisant ce qui leur plaît. Bon, d'accord, les revenus des écrivains publics ne sont pas tout à fait comparables à ceux des footballeurs, mais les premiers pourront exercer leur passion aussi longtemps qu'ils le souhaiteront EUX!!! C'est une compensation, non ?


mercredi 13 janvier 2010

L'encrier


L'encrier de Robert Doisneau


Le fond de l'encrier. C'est rigolo : la plume grince. Quand elle va ressortir, il y aura trop d'encre. Une goutte va retomber. Elle n'écrira pas avec moi les mots. Tant pis pour elle. Bien sûr, elle aura une seconde chance. Toutes les gouttes d'encre ont leur chance car toutes écriront.

Dans le fond de l'encrier, il y a un trésor. Il n'est pas enfoui, il attend juste de pouvoir s'étaler sur les pages de Guillaume. C'est un petit garçon méticuleux : tout ce qu'il fait est appliqué. Les gouttes d'encre qui s'accrochent à sa plume s'étaleront bientôt, en pleins et en déliés, entre les lignes, sans dépasser. Des boucles amples, des arrondis joufflus. Son histoire sera belle. On n'aura même pas besoin de la lire pour le savoir. Il suffira de regarder. Les phrases harmonieuses se suivront sans se bousculer. Elles traverseront la page en se pavanant. Elles auront raison d'être fières : Guillaume les aura tracées avec plaisir. Il adore écrire. Il perçoit avec gourmandise le grattement de la plume sur le papier, une griffure légère, avec la pointe, laissant un trait sec quand on monte, puis le frottement un peu sourd, régulier, qui laisse une trace épaisse quand on appuie doucement en redescendant.

Chaque mot est une figure, chaque ligne une farandole, farandole colorée, animée de vie et de rêve.
Guillaume écrit l'histoire de sa chatte : elle a eu six petits, cinq sont partis. Sa plume ronronne, enroule les a, les o, puis étire les boucles, en bas, en haut. La chatte se lève après la tétée, fait le gros dos, puis tend une patte, l'autre, jusqu'au bout de ses griffes. Les petits, repus, se pelotonnent les uns contre les autres. Après une courte sieste, ils sautent du panier. La plume de Guillaume bondit d'un mot à l'autre, joyeusement ; les signes atterrissent les uns derrière les autres, vifs mais disciplinés, pressés d'occuper leur place exacte. Les chatons jouent, démarrent comme des bolides, dérapent sur le carrelage, se bousculent et repartent. Mais un jour, la chatte ne veut plus les nourrir : ils sont grands, ils doivent se débrouiller seuls. Chacun leur tour, ils quittent la maison pour un autre foyer.

La plume de Guillaume s'arrête, reste en suspend quelques instants. Oui, Guillaume a fini son histoire. Il pose un point final à côté du dernier mot.