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mercredi 14 juillet 2010

Haïkus (Danièle)

Fleurs multicolores
S’offrent au soleil radieux
Enfin le printemps


Douces pluies longtemps
Abreuvent les jeunes pousses
Bourgeons duveteux


Veste légère remplace
Le gros manteau trop chaud
La terre se réveille


Petit bras tout rond
En robe de coton léger
Se tend vers l’écume


Nuage effilé
Suspendu dans la chaleur
Espoir de fraîcheur


Le jour chaud s’allonge
L’ombre enfin au pied des arbres
Retient les passants


Contre les murs blancs
Les vieux sur les bancs assis
Témoins de la vie
Danièle

PRINTEMPS (Danièle)

Depuis quelques jours le ciel a repris de l’altitude et de la couleur. Le platane qui, chaque matin, salue Maria lorsqu’elle ouvre ses persiennes, s’égaye de vert tendre. Le soleil renaissant joue avec le vent et agite les ombres légères, décorant les murs et les trottoirs de petits motifs dansants. Le forsythia brandit ses branches illuminées sur le balcon. Maria pose son plateau sur la petite table près de lui. En s’asseyant, elle promène son regard. Le merle lance quatre notes et sautille auprès du platane. Il s’arrête puis recommence. Son chant est plus vif depuis le retour du printemps. Maria savoure son petit-déjeuner dans le matin frais. Elle respire profondément, écoute la ville qui s’éveille, s’amuse de la parade des pigeons. Ce matin, elle n’allume pas la radio car elle a décidé qu’aucune nouvelle catastrophique ne viendrait troubler son plaisir. Elle prend son temps. Ses pensées vagabondent, sautent par-dessus la clôture de la résidence, s’échappent au bord du lac où elle ira demain avec Violaine et Stéphanie pour nager, rire et plaisanter. Ce samedi débute bien.

Mais c’est le dernier jour de la semaine et non le premier du week-end. Le sien, puisqu’elle travaille dans le commerce s’écoule sur le dimanche et le lundi. Vite, le bol et les couverts dans le lave-vaisselle. Le reste du lait dans le frigo. Le pain à sa place. Un coup d’œil à sa montre. Aïe ! Elle va être en retard. Elle se rue dans l’entrée, attrape sa veste au porte-manteau. Son sac est encore sur la table du salon où elle l’a déposé hier soir quand elle a répondu à Violaine sur son portable. Elle rafle les deux objets ainsi que le roman commencé, qu’elle poursuivra dans le train. Elle fourre le téléphone et le livre dans le sac. L’ascenseur ne tarde pas, heureusement. Dans la rue, les passants, dans une sorte d’instinct de conservation, se détournent pour la laisser passer. Elle ne les voit pas. Elle court et s’essouffle, se jurant de reprendre bientôt ses habitudes sportives quelque peu délaissées par paresse durant l’hiver. Haletante, elle atteint la petite gare et arrive sur le quai en même temps que le train. Elle y pénètre et cherche une place assise, mission quasi impossible à cette heure de pointe. Sans se décourager, elle remonte le compartiment. Elle a eu raison de s’obstiner : elle trouve finalement à s’asseoir entre une adolescente enfermée dans son monde, les écouteurs de son I-pod sur les oreilles et un homme, plutôt jeune, à l’allure décontractée, T-shirt vague, jean et baskets, un sac à dos en toile kaki posé à ses pieds. Il la salue en souriant. Elle lui rend son sourire, étonnée de rencontrer une telle amabilité dans le train à cette heure-ci. Les banlieusards qui le prennent pour aller travailler n’ont pas l’habitude d’être de bonne humeur si tôt. Plus tard non plus d’ailleurs. Peut-être que le printemps tout neuf commence à dépoussiérer les esprits. Elle s’installe et sort son livre.

- Ah ! C’est le dernier Cauwelaert ! Vous ne perdez pas de temps. Je l’ai entendu le présenter à la radio avant-hier.

- Moi aussi. Mais je travaille dans une librairie, ce qui m’a permis de l’avoir dès sa parution.

- Une librairie ? Quel lieu magique pour travailler.

- J’avoue que cela me plaît beaucoup. Les livres sont des portes ouvertes sur tous les domaines possibles : la réalité, l’esprit, le rêve. Grâce à eux, je suis une exploratrice statique de l’univers. Et vous ?

- Moi, je voyage aussi beaucoup, mais de façon plus concrète : en autobus, en train, en bateau, en avion. Mais aussi en pirogue, ou à dos de mulet, selon les missions que l’on me confie.

- Ah bon ! Vous êtes géographe ?

- Non. Je suis membre de l’association « L’eau source de vie ». Je dois creuser des puits avec les habitants des villages concernés et former ceux-ci à l’entretien de l’installation.

- Que faites-vous à Paris aujourd’hui ?

- Nous montons un nouveau projet : nous en étudions avec précision toutes les données, nous l‘évaluons, nous trouvons le financement, nous achetons le matériel, nous organisons son acheminement et nous répartissons les tâches. Nous avons bouclé les derniers détails hier soir et je vais pouvoir me ressourcer chez moi en Corse quelques jours avant de repartir en Afrique.

Maria est curieuse :

- Où s’est déroulée votre dernière mission ?

Le jeune homme se tourne vers elle. Elle a posé sa question comme si cela était d’une importance capitale. Elle le regarde avec une telle intensité qu’il en est surpris. Il ne s’attendait pas à être aussi intéressant. Il raconte donc un village malien où les femmes sont contraintes de faire des kilomètres à pied chaque jour pour chercher l’eau. Il décrit les gestes quotidiens, les habitudes, la nourriture, les préoccupations de ces gens, leurs espoirs.

Elle a tellement lu qu’elle a l’impression de s’être déjà rendue dans ces contrées, qu’elle a rencontré ces villageois. Elle le suit, sous le charme, à mille lieues de leur compartiment. Sous le soleil implacable elle le regarde travailler, entouré des hommes qui s’activent avec lui sous le regard curieux et espiègle des enfants. Les femmes effectuent les tâches domestiques et agricoles, perpétuant des habitudes ancestrales. Elles ne se plaignent pas, leur bébé dans le dos, courbées sur les sillons de mil, ou frappant dans un rythme immuable le fond de leur mortier avec leur pilon.

Mais le train ralentit. Le temps a passé si vite.

- C’est le terminus, avertit Maria.

- Dommage, notre conversation ne faisait que commencer.

- Appelons-nous dans la journée.

- Je n’ai pas de téléphone mais je serai avec un ami jusqu’à dix-huit heures, heure à laquelle il me conduira à l’aéroport. Voici son numéro.

Il fouille dans son sac, en sort une vieille enveloppe qu’il déchire pour y inscrire le numéro et le tend à Maria. Sans réfléchir, elle le saisit.

- OK ! Je vous appelle. A tout à l’heure.

Elle se précipite sur le quai et court vers son métro. La réalité a repris ses droits. Maria regarde sa montre. C’est le tic des gens pressés, des gens stressés.

À peine arrivée à la librairie, elle doit enregistrer les offices livrés tôt ce matin, pointer les bordereaux, placer les livres en rayon, appeler les clients pour les avertir de l’arrivée de leur commande. Après cela, elle rejoint sa collègue en magasin et est disponible pour la clientèle qui commence à affluer.

La pose déjeuner lui paraît très courte. Elle a juste le temps d’avaler quelques bouchées et de boire un peu avant de reprendre son poste.

En fin d’après-midi, les clients sont moins nombreux. Il y a même un moment où personne hormis le personnel ne circule dans le magasin. Maria respire. En jetant machinalement un coup d’œil à l’horloge accrochée au-dessus de l’escalier, elle fait un bond. Dix-sept-heures trente ! Vite son téléphone.

Malédiction ! Ce matin, dans sa précipitation, elle a emporté la télécommande de la télévision. Elle paye cher son étourderie ! Et pas moyen de téléphoner d’ici, son patron est intraitable sur le sujet : « A l’ère du téléphone portable, vous n’avez aucune excuse pour établir vos communications depuis le fixe de l’entreprise, cela encombre la ligne inutilement. »

Pour une fois qu’elle rencontrait quelqu’un d’intéressant, elle ne pourrait pas le revoir. Quelle malchance. Elle ne connaît même pas son nom !

Toute sa légèreté et sa bonne humeur printanières volent en éclat. Elle est consternée. Il ne lui reste plus qu’à terminer sa journée comme toutes les autres : finir son travail, prendre le métro, puis le train et rentrer chez elle.

Lorsqu’elle pénètre dans son salon, il est déjà vingt heures, comme d’habitude. Le téléphone semble la narguer sur la table. Elle s’affaisse sur le canapé, extirpe la télécommande de son sac et allume la télévision. Elle n’a pas faim. Elle regarde d’un œil morne les informations. Toujours des nouvelles tristes ou désagréables ou encore catastrophiques. Ici un homme s’est noyé dans sa voiture dont il a perdu le contrôle, là trois délinquants ont agressé un retraité pour lui voler son portefeuille, ailleurs, le célèbre repris de justice s’est évadé en emmenant en otage un gardien de la prison où il était détenu, et bien sûr, le Gouvernement annonce de nouveaux impôts pour alimenter la caisse de retraite. Après ces réjouissances ordinaires, le présentateur annonce l’émission suivante : Terres méconnues.

Incapable de la moindre réaction, Maria ne songe ni à se préparer un semblant de repas, ni à aller se coucher, ni même à changer de chaîne. Les publicités défilent sous son indifférence totale. Puis, l’animatrice de « Terres méconnues », souriante, s’adresse à son invité.

- Bonjour, Patrice Carcou. Vous revenez du Mali et vous y retournez dans quelques jours. Pourquoi ?

Gros plan sur l’invité. Mais… C’est lui !

- Oui, je passe une grande partie de l’année là-bas car, avec mon association « L’eau source de vie » nous assistons les populations dans leur recherche d’eau potable.

Maria se redresse. Elle ne manque pas un mot, pas une image du reportage. Et, surtout, elle note minutieusement les coordonnées de l’association « L’eau source de vie ».

Elle appellera dès demain.Danièle