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vendredi 2 décembre 2011

Le beurre salé dans le café noir.

Ce matin, je voyage. Assise sur mon tabouret, dans mon petit studio du sixième étage sans ascenseur, je trempe ma tartine de pain recouverte de beurre salé dans mon café noir. Derrière ma fenêtre, novembre n’en finit pas d’étendre ses guenilles grises au ras des toits de Paris. Mais moi, je suis à Saint-Brieuc chez ma grand-mère.

Il est huit heures et la lumière délicate de ce matin d’été entre dans ma chambre lorsque Mamy ouvre les rideaux. L’arôme du café me chatouille les narines et m’annonce que la journée sera délicieuse. Je jaillis de mon lit, saute au cou de ma grand-mère et me précipite vers la source de ce bon présage. Mamy me suit bientôt. Je n’ai que dix ans, c’est pourquoi elle ne verse au fond de mon bol qu’une petite quantité de café. Mais je vais ainsi pouvoir y tremper ma tartine de beurre salé. La rugosité du pain s’efface à peine devant l’onctuosité dorée du beurre enrobé d’arabica sucré à point. Lorsque j’aurai terminé ma tartine, Mamy ajoutera du lait pour remplir mon bol.
Après ce petit déjeuner de paradis, il sera temps d’entreprendre toutes sortes de découvertes dont Mamy m’aura réservé la surprise. Nous irons ramasser les coquillages à marée basse, ou bien nous observerons la mer qui recouvrira la plage en remontant.

Il y aura les galettes de sarrasin repliées en deux sur une délicieuse tranche d’andouille agrémentée de crème fraîche. La pâte brune, un peu épaisse, au goût de châtaigne, accompagnera merveilleusement l’andouille dont l’amertume sera adoucie par la crème.

Il y aura aussi la visite d’un village où se déroulera un pardon. Le saint-patron du village sera soutenu, tout le long de la procession par les Bretons portant leur large chapeau rond au-dessus de leur veste noire brodée d’or. Les Bigouden suivront le cortège dans leur costume de velours noir richement brodé, leur coiffe immaculée fièrement fixée au sommet de leur crâne par ses rubans de dentelle noués sous le menton. Le bedeau mettra toute son énergie en œuvre pour que les cloches carillonnent si fort qu’on les entendra jusqu’au village voisin.

De mon bol, le café monte en volutes odorantes et je le respire sans modération tout en tournant et retournant contre mon palais le doux mélange salé-sucré de mon enfance.

Danièle