Pages

mercredi 29 septembre 2021

Souvenir d'orage

 

Le temps avait menacé tout l’après-midi, nous narguant avec son vent qui affolait le feuillage des platanes de la cour de récréation. Je regardais par la fenêtre de plus en plus fréquemment pendant que la maîtresse tentait de capter notre attention déjà bien émoussée en cette fin d’après-midi de juin. Mais, sauf ce vent échevelant, aucun autre présage ne se manifestait.

Mais voilà, à l’instant précis où nous franchissions le portail de l’école, le premier grondement a roulé, venant du fond du village et s’étalant au-dessus de nos têtes comme un avertissement.

Le chemin qui me ramenait à la maison mesurait bien son kilomètre et demi et mon cartable rempli des livres utiles aux devoirs du weekend, tirait sur mon bras. Je commençai à marcher d’un pas vigoureux, espérant ne pas subir le déluge trop longtemps, car en effet, il ne faisait aucun doute que la pluie ne saurait tarder. L’anthracite opaque des épaisses montagnes célestes, semblait gonfler en approchant, cisaillé par les éclairs. Au fur et à mesure que l’orage avançait, le tonnerre éclatait chaque fois plus percutant, chaque fois plus fracassant.

Aujourd’hui, je l’entends encore comme une énorme, immense, gigantesque baudruche qui aurait explosé, sous le coup d’une flèche lancée par un bras puissant.

Soudain, le nuage s’ouvrit et la pluie s’abattit en stries serrées. Les grosses gouttes frappaient le sol en flops mats et me mouillaient jusqu’à la moelle.

L’humidité dont mon cartable s’imprégnait le faisait glisser dans ma main qui se crispait en essayant de le retenir. Je le changeais fréquemment de côté afin de soulager momentanément mon bras endolori et je pressais le pas.

J’avais hâte d’arriver à la maison afin de me mettre au sec. Douche et vêtements propres.

Je ne me souviens d’aucune sorte de frayeur, mais le ruissellement tiède de cette pluie d’orage qui me parcourt de la tête aux pieds, plaquant mes cheveux sur mon visage et dans mon cou, et cette impression d’être chaussée de coussins chuintant à chaque pas sont des sensations empreintes sur ma peau, enveloppantes et fluides.

Puis le nuage et son cortège d’eau, d’éclairs et de grondements s’éloigna, me laissant dégoulinante mais soulagée de retrouver le ciel bleu vif de juin qui aurait pu attendre un peu que je fusse à l’abri avant de me livrer sans pitié à ses caprices.

mercredi 22 septembre 2021

Libérer ce qui ligote l'âme

 

Janvier déjà.

J’avais décidé, à la rentrée de septembre, de ne pas me laisser happer.

Trouver du temps pour soi, au besoin le créer, tel est le conseil répété par les coachs de vie à longueur d’articles dans les magazines en papier glacé, bien lisses, harmonieusement colorés. Les nombreux exemples cités à leur suite se veulent convaincants. Mais voilà : la quarantaine approchante, trois enfants, Hugo, Olivier et Gaël, en pleine construction, un mari si occupé que la banalité du quotidien ne le concerne pas, une profession passionnante mais demandant une absolue disponibilité, et la spirale se met à tourner.

L’action permet d’éviter le vertige. 

Se focaliser sur l’objectif : l’intendance, le suivi des enfants dans leur santé, leur cursus scolaire ou sportif ou encore culturel, la préparation des cours, les trajets maison-travail, maison-médecin, maison-stade, maison-marché et retours — évidemment—, et la présence auprès de mes élèves, sans relâchement. Une chose à la fois. Mais tant de choses…

La monotonie ? Certes non ! Car il y a toujours le détail qui modifie le cheminement linéaire : Gaël a oublié sa veste de survêtement à la salle de sport, il n’y a plus de place pour se garer près du marché, Hugo invite ses copains pour son anniversaire, le petit Florian Meunier n’a pas encore rapporté son autorisation parentale pour la sortie éducative du lendemain. Pas le temps de s’ennuyer, pas le temps de respirer.

Quatre mois déjà que le rythme s’impose et m’asphyxie. Quatre mois que je me lève dès la première sonnerie du réveil et que les gestes automatiques s’enclenchent, dans un ordre précis, du matin jusqu’au soir, réalisant les tâches incontournables, sans perte de temps, sans dépense inutile d’énergie afin que les plages réservées à l’essentiel, assistance de mes élèves et de mes enfants aux moments opportuns, ne soient pas parasitées par des préoccupations prosaïques.

Je m’épuise, je me dessèche, je manque d’air.



J’entends ce soir l’océan rouler et jaillir sous la tempête. Il est au bout de ma rue. Il m’appelle. J’enfile ma veste et je le rejoins. Assise sur les rochers qui bordent la plage, je me laisse envelopper par le fracas des vagues juste en-dessous de moi. Le vent, en rafales impétueuses, soulève l’écume. Le flux et le reflux, dans une lutte violente, mugissent dans la nuit. Les crêtes, dentelles furieuses, déferlent sur le sable. Je suis au cœur du tumulte. Je n’entends plus que sa furieuse énergie. Mon agitation se noie dans le brusque ressac, mon stress s’envole dans la bourrasque. L’océan danse et joue avec le vent, sans contrainte, sans retenue, dans un déchaînement de forces bouillonnantes et mon esprit joue avec eux. Leur puissance me remplit, leur vacarme me vide la tête et je respire à pleins poumons, libérée des tensions qui ligotaient mon âme.

Je me ressource au creux de la tempête.