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lundi 21 mai 2012

Retour à la vie


Ils étaient arrivés en même temps. La brasserie était encore vide. Ils s'étaient installés côte à côte, face à la grande salle.

Tant d'années avaient passé sur leur détresse. Assis l'un près de l'autre sur la molesquine de la banquette, ils se regardaient sans se rassasier. Il prit une soudaine respiration, profonde, comme au sortir d'un songe. L’âge te va bien, s’entendit-il dire. Elle ne fut pas étonnée. Elle se détendit. Ils étaient là, ensemble. Elle se redressa. La fatigue du voyage s’estompait. La voix de son mari la dynamisait toujours. Il avait donc gardé ce timbre clair, chaleureux, le rythme des mots dansant et cet art de lui adresser la petite phrase élégante et affectueuse qui rendait tout à coup l’air si léger. Tu as fait bon voyage ? s’enquit-elle. La question eut pu sembler banale. Mais lui savait à quel point le confort de ceux qui lui étaient chers la préoccupait. Il lui en fut très reconnaissant. Ça n’a pas été très long, tu sais. Et pourtant, ces deux dernières heures m’ont paru interminables dit-il en plongeant son regard dans celui de Sophie. Elle ne baissa pas les yeux. Elle se laissa sonder jusqu’au fond de son cœur.

Le serveur s’approcha et demanda : Que prendrez-vous ? Ils n’avaient pas regardé la carte. Ils répondirent d’une même voix : Le plat du jour. Ils rirent. La vie reprenait… Ou continuait ? Les clients commençaient à arriver. Le brouhaha montait peu à peu, les enveloppant d’une chaleur rassérénante. Ils se rapprochèrent l’un de l’autre et observèrent le garçon qui leur apportait leur commande.

Ils étaient à nouveau face au monde, mais ensemble, du même côté. Il lui passa les bras autour des épaules. Elle se blottit contre lui. C’est ainsi qu’ils se transmettaient leur énergie autrefois. Quelle chance nous avons ! dit-il en resserrant son étreinte. Elle en était consciente et désormais, chaque instant serait encore plus précieux. Même les gestes du quotidien comme ceux de cet instant : découper sa viande, ajouter un peu de sel, avaler une gorgée d’eau. Les paroles ordinaires étaient douces. Comment trouves-tu la sauce ? lui demanda-t-elle. Excellente lui répondit-il d’un ton gourmand.

ll était affamé, affamé de vie. Elle était heureuse, complètement. Toutes ces choses vécues durant leur séparation, dix années. Dix années loin du Chili dont ils s'étaient sauvés miraculeusement, lui en Hollande, seul, elle et leur deux enfants en France. Ni l'un ni l'autre ne savait ce qu'était devenu l'autre, les autres.Ces événements qui avaient éclaté leur famille et leur cœur. Puis, ces démarches, ces luttes, ces ruses, ces espoirs et ces déceptions qui les avaient enfin réunis étaient là, tenaces et vivaces dans leur esprit. Mais ils les évoqueraient plus tard. Aujourd’hui, le plus important était de partager un simple repas, dans une simple brasserie, comme un simple couple.

Le temps change remarqua-t-il. Elle regarda le ciel. Oui, tu as raison, dit-elle. J’ai pris mon parapluie.
Quel bonheur !

Danièle

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