Lorsqu’elle pénétra dans la gare, il était déjà là, évidemment. Très calme, il attendait, debout à côté de sa valise, tourné dans sa direction. En s’approchant de lui, elle s’étonna de n’avoir jamais remarqué qu’il était plutôt petit. Elle le trouvait pourtant rassurant, même un peu protecteur, ce qui, bizarrement, la touchait plus qu’elle ne voulait le laisser paraître. Au milieu des gens qui se hâtaient en tous sens, il restait immobile, indifférent à l’agitation générale. Dès qu’elle fut assez proche de lui, elle discerna son sourire. Il la regardait avec infiniment de bienveillance. Il était heureux de la voir. Elle comprit à cet instant qu’il prenait la place la plus importante au milieu de tout ce qui comptait dans sa vie. Elle déposa son bagage au sol et jeta ses bras autour de son cou. Lorsqu’elle le lâcha, elle était rose d’émotion, surprise elle-même de son geste.
Même
moi, j’en suis encore stupéfaite. Qui aurait pensé à une attitude aussi
spontanément affectueuse de la part de ma cousine ?
Le
chef de gare siffla. Patrick prit les deux valises, les déposa dans la voiture.
Puis il se retourna vers Évelyne, la saisit sous le bras et l’aida à monter.
Elle sauta les trois marches du wagon sans effort apparent. Quelle
légèreté ! Légèreté et élégance.
Elle ne portait rien de précieux ou de très sophistiqué, mais elle avait
l’art d’associer les couleurs qui lui seyaient, de nouer son foulard d’une
manière très personnelle. Il la regarda marcher devant lui, cherchant dans les
compartiments deux places disponibles. Elle passait la tête dans la porte,
demandait gentiment si deux places étaient libres. On lui répondait avec le
sourire. Sa courtoisie joyeuse était communicative. Elle remerciait. Un regard
expressif vers lui en même temps qu’un haussement d’épaule résigné, et elle
reprenait sa quête.
Enfin,
ils s’assirent l’un près de l’autre.
— Prends
le côté fenêtre, ce sera plus agréable.
— Merci
c’est aimable à toi, répondit-elle.
Elle
s’installa, jeta un coup d’œil au dehors, se tourna vers lui.
— C’est
la première fois qu’on m’aide à monter dans un train.
— Cela
te déplaît ?
— Oh
non. Au contraire, j’aime beaucoup. Cela me change de mon adolescence où
j’étais toujours en retard, et que je prenais le train en marche.
Il lui prit la main et la garda dans les
siennes. Elle trouva cela très doux. Elle se laissait apprivoiser.
C’est
ainsi qu’Evelyne et Patrick débutèrent ce que il est convenu d’appeler une
histoire d’amour.
Le
samedi se déroula comme à leur ordinaire. Pourtant, le climat avait changé.
D’abord parce que le printemps répandait fleurs nouvelles et chants d’oiseaux,
puis parce que le ton de la conversation de nos tourtereaux se faisait plus
complice, plus attentionné. Le dimanche leur sembla plus court que d’ordinaire.
Est-ce parce que les jours allongeaient en cette fin mars, ou…
N’extrapolons
pas.
Toujours
est-il qu’ils s’étaient mis d’accord pour une date et un lieu de vacances
ensemble. Où ? Je ne le sais pas et vous ne le saurez jamais non plus,
d’ailleurs, car comme le veut l’adage : « L’homme propose et… ».
En revanche, quand ? Vous verrez.
Les
semaines passèrent sereinement au travail et avec Patrick. L’été se
rapprochait. On parlait vacances à la pause déjeuner. Catherine, Chantal et
Jacqueline avaient des projets aussi différents que leurs personnalités.
Chantal rejoindrait un groupe de jeunes sur un chantier archéologique au fin
fond de la Turquie, pour Catherine se serait barbe-queue, baignade, bronzage
sur une plage méditerranéenne avec sa tribu, tandis que Jacqueline s’était
inscrite sur un safari photos en Zambie.
— Et
toi, Évelyne, ce sera quoi, tes vacances ?
— Patrick
et moi avons décidé de passer deux semaines à partir du 15 août dans un lieu
que nous ne communiquerons pas, car ce sera pour nous une sorte de test de vie
à deux.
— Alors,
c’est sérieux ?
— On
dirait.
— Tu
caches bien ton jeu. C’est une surprise pour nous qui te trouvons si indépendante.
Il doit être formidable ce Patrick pour t’avoir prise ainsi dans ses filets.
— Je
n’en reviens pas moi-même. Mais Patrick est quelqu’un de très particulier. Plus
je le connais, plus il me plaît.
— Alors
bonne chance à toi !
Les
quatre amies se séparèrent pour rejoindre leurs bureaux.
Quand
Évelyne pénétra dans le sien, le téléphone sonnait. La standardiste lui passa
Patrick.
— Bonjour
Évelyne. Excuse-moi de te déranger, mais j’aurais quelque chose à te demander.
Pourrions-nous nous voir ce soir ?
— Rien
de grave ?
— Non,
rien de grave, seulement très important.
— OK.
À ce soir, donc.
Évelyne
était perplexe car elle avait perçu du souci dans la voix de Patrick. De quoi
s’agissait-il ?
Ma
cousine n’était pas le genre de fille à s’appesantir sur ses préoccupations
quand l’heure demandait son attention sur d’autres sujets. Elle reprit donc son
travail, mais elle ne put se défendre contre une inquiétude sourde. La
concentration sur ses tâches parvinrent difficilement à l’en distraire. Il
fallait bien admettre qu’elle commençait à ressentir une réelle affection pour
Patrick et qu’elle n’aimait pas l’idée qu’il puisse avoir des problèmes ou des
ennuis.
Quand
la journée prit fin, elle attrapa vivement son sac à main et sortit rapidement.
Patrick l’attendait sur le trottoir.
— Allons
prendre un rafraîchissement.
Ils
s’installèrent à la terrasse d’un café. Avril caressait la ville de ses
effluves de fraîcheur et d’herbe tondue.
— Je
ne sais pas ce que tu veux me dire, mais c’est pour moi une occasion de partager
cette soirée avec toi, il fait si bon !
Évelyne
fait partie de ces gens qui savent prendre les petits instants de la vie comme
des cadeaux. Ah ! Patrick, tu es peut-être très particulier, comme elle
dit, mais sache reconnaître la chance que tu as de plaire à ma cousine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire